La préface de Poésies d'Humilis, recueil de Germain Nouveau, l'ami de Verlaine et de Rimbaud, est signée Ernest Delahaye. La deuxième édition, de 1924, est parue chez Albert Messein, Editeur, 19 Quai Saint-Michel, 19. L'achevé d'imprimer est daté du 12 septembre 1924. Page 10, page de gauche, en vis à vis du début la préface de Delahaye, est précisé : Il a été tiré de ce livre 20 exemplaires sur Chine et 480 exemplaires sur Vélin pur fil tous numérotés. L'exemplaire que j'ai sous les yeux indique simplement N° . Il n'a pas été numéroté.
La préface de Delahaye mérite une lecture attentive. Elle est riche de rappels historiques sur les techniques ou les secrets de la prosodie. Riche d'enseignements aussi pour les rimeurs ou rimailleurs d'aujourd'hui.
Lecture.
" En créant pour ses chants liturgiques - dès le commencement du Moyen-Age - nos principales formes de rimes (suivie, alternée, encadrée, redoublée), aussi les coupes de vers en quatre, cinq, six, sept, huit et dix syllabes, sans compter, dans certaines proses, des procédés de rythme qui semblent d'un art secret dont les règles seraient perdues, l'Eglise chrétienne, incontestablement, a mis au monde la Poésie française. Une enfant terrible. Une fille qui souvent injuria et battit sa mère. Hélas ! Pourtant, c'est sa fille, l'Eglise le sait bien... parfois, du reste, cette enfant revient se jeter dans les bras de sa maman très vieille et toujours jeune puisque immortelle, et l'Eglise sourit à la fille méchante, car elle l'a faite trop belle pour ne pas l'aimer, l'excuser toujours. Si par exemple elle demande secours et pardon, comme la poésie de Verlaine, ou si elle se présente mélodieuse, et noble et douce et enthousiaste, comme la poésie de Germain Nouveau.
" De huit ans plus jeune que Verlaine, il appartenait à la même génération littéraire; c'est par lui qu'il fut converti, ce qui aura dû militer devant la justice divine en faveur de " Pauvre Lélian ". Je me rappelle nos conversations à trois, en 1877, au moment où Nouveau revenait d'Arras avec l'auteur de Sagesse. Il n'était pas encorre croyant, mais son ami lui avait fait visiter tant d'églises ! Il lui devait des sensations si nouvelles et d'une telle force mystérieuse, au moment où il copiait, sur ses indications, le Christ de Saint-Géry et se l'entrait dans le coeur, sans trop savoir, mais si profondément,
Ce vrai Christ catholique éperdu de bonté ! (1)
" Et puis, quand vous l'aviez accompagné à un office, Verlaine, esprit fin et délicat s'il en fut, savait si bien, sans avoir l'air d'y toucher, commenter... pour vous... ce que l'on venait de voir et d'entendre ! Nouveau en restait encore à un scepticisme sympathique, cependant il était travaillé, cela se voyait : " Après tout, disait-il, les religions ont ce mérite de nous donner la force de l'abnégation : voyez les Turcs ! ... " Verlaine souriait, sans discuter, d'un chemin aussi détourné pouvant conduire à Jésus en passant par l'Islam. Ce qui attirait surtout le peintre-poète vers les pitiés chrétiennes, c'était la Beauté, jusqu'alors son seul culte. Il l'avouait : " Comment ne pas aimer des croyances qui ont produit tant d'art ? " Il sentait à peine ce qu'il y avait d'incomplet dans cette conception, un peu matérialiste encore, mais le besoin du Beau était déjà trop ardent pour ne pas tout allumer, bientôt, et faire une flamme unique du sentiment joint à la raison.
SUIVRA...SUIVRA...SUIVRA...