- Mais monsieur, vous ne vendez que des morts !
- Les livres sont éternels, madame... Les écrivains ne meurent jamais...
- Balzac, Hugo, Verlaine, Rimbaud, Baudelaire, Flaubert, tout ça, c'est dépassé...
- Ah bon, mais que lisez-vous donc, madame ?
- Marc Lévy, Guillaume Musso, Amélie Nothomb, Christine Angot... que des contemporains...
- Dans le genre, je crains de ne pas avoir grand chose pour vous, madame...
Haussement d'épaules et jolie grimace pour ponctuer mes pauvres mots. J'hésite à dire : madame, j'ai Texaco de Chamoiseau.
Elle faisait très "seizième". Dans la voix, comme dans le geste. Pas seizième siècle. Seizième arrondissement. Seizième arrondissemnt de Paris. Même franchement Neuilly. Avec cette suffisance qui m'a toujours sidéré. Cet aplomb qui plombe les meilleurs sentiments. A la voir, à l'entendre, elle en était. De la haute. Du goût et du bon goût. De la bonne société. Des bien pensants. De ces gens qui se prennnent pour des gens bien. Des gens très bien. Des gens importants. Mais qui, souvent, ne brassent que du vent. Qui ne croient pas au ciel, mais au superficiel. Je n'ai pas pu résister. J'ai lâché, d'un coup, d'un seul, ma rafale à cette vieille bégueule :
- Madame, cessez de me prendre pour un sot ! C'est vrai, je préfère Musset à Musso. Et même Hugo à Angot. Mais j'adore Chamoiseau. Laborde. Lacoche. Chérel. Modiano. Monnereau. Morlino. Pierre-Louis Basse, et j'en passe. Tous vivants. Bien vivants. Bons vivants. Et pour longtemps !
Elle est partie en claquant les talons comme on claque une porte. Pas pu m'empêcher de penser : foi de bouquiniste, que le diable l'emporte.