En ces temps où le changement est lueur d'espoir, il y a toujours des raisons d'être inquiet. Lueur a deux syllabes, inquiet en a trois. Je découvre cette curieuse petite phrase dans une vieux livre de classe que je feuillette au hasard. Je viens d'en faire l'acquisition pour un euro. Un euro symbolique. Il s'agit d'un livre destiné aux élèves des "Cours Moyen et Supérieur". Publié par la Librairie Hachette, en 1931. J'adore ces vieux ouvrages. La manière dont ils sont construits. Les thèmes abordés. La morale induite ou explicite qu'ils contiennent. Ils ont une particularité dont je ne suis pas sûr qu'elle subsiste aujourd'hui. Chaque édition comporte deux sortes d'ouvrages: le livre de l'élève et le livre du maître.
Celui que j'ai entre les mains porte, en sous-titre, la mention "Livre du Maître". L'auteur du livre, Georges Gillard, dans l'avant-propos intitulé Préface du Livre de L'élève, préface également présente dans Le Livre du Maître, donne très clairement ses intentions.
" Le présent volume, destiné aux élèves du cours moyen et du cours supérieur, est avant tout un livre de lecture.
" C'est aussi un livre d'enseignement du français, la leçon de lecture étant, dès le cours moyen, une leçon de langue française. (Instructions officielles du 23 février 1923.)
"Par le choix des textes, par la nature des exercices, par la qualité de l'illustration, nous nous sommes efforcés de justifer notre titre : "Le Français Vivant".
De fait, le sous-titre, très détaillé, annonce un menu fort copieux. De quoi vraiment mettre en appétit les élèves des années trente. Lecture et Récitation expressives, Elocution, Composition française, Orthographe. Tout un programme.
De La pêche merveilleuse (un extrait du Roman de Renard) aux Moutons de Panurge, d'après Rabelais, en passant par Le respect du pain, extrait de L'Enfant de Jules Vallès, La vigne arrachée, extrait de La Terre qui meurt de René Bazin ou encore Nuit de neige de Maupassant, c'est une belle invitation à un double voyage qui est faite : voyage au pays des mots de la langue et voyage dans le pays réel. Juste pour le plaisir, arrêtons-nous sur les quatre pages consacrées à Maupassant. Le texte à étudier se trouve page122 et page 123 du Livre du Maître et la page 122 précise astucieusement page 88 du Livre de l'Elève.
Nuit de neige.
La grande plaine est blanche, immobile et sans voix
Pas un bruit, pas un son; toute vie est éteinte.
Mais on entend parfois, comme une morne plainte,
Quelque chien sans abri qui hurle au coin d'un bois.
Plus de chansons dans l'air, sous nos pieds plus de chaumes.
L'hiver s'est abattu sur toute floraison.
Des arbres dépouillés dressent à l'horizon
Leurs squelettes blanchis ainsi que des fantômes.
La lune est large et pâle et semble se hâter.
On dirait qu'elle a froid dans le grand ciel austère.
De son morne regard elle parcourt la terre,
Et, voyant tout désert, s'empresse à nous quitter.
...
Page 124, la rubrique Conseils pour la récitation pourrait paraître complétement désuète aujourd'hui. Ces conseils ne sont pourtant pas sans un certain charme. Pour le plaisir à nouveau, lisons-les ensemble :
Récitez lentement, avec émotion.
Les trois premières strophes peuvent être dites avec une certaine monotonie, comme avec lassitude.
La voix devient plus ferme à partir de la quatrième strophe, qui doit produire une impression d'inquiètude un peu mystérieuse (fantastiques lueurs, sinistrement, étranges reflets, clarté blafarde).
Les deux dernières strophes doivent exprimer votre pitié. (Bien détacher : Oh! la terrible nuit ... Un vent glacé frissonne... sur leurs pattes gelées... tout tremblants).
Elargir le dernier vers : Attendant jusqu'au jour la nuit qui ne vient pas.
Remarque : Lueur a 2 syllabes; inquiet en a 3.
La phrase. The phrase. Lueur a 2 syllabes; inquiet en a 3. Je ne m'en remets pas. Je sais pourquoi je ne suis pas inquiet. Le changement, c'est maintenant. C'est une vraie lueur d'espoir.
Pour le plaisir, maintenant, les trois dernières strophes de "Nuit de neige".
Et, froids, tombent sur nous les rayons qu'elle darde,
Fantastiques lueurs qu'elle s'en va semant;
Et la neige s'éclaire au loin, sinistrement,
Aux étranges reflets de la clarté blafarde.
Oh ! la terrible nuit pour les petits oiseaux !
Un vent glacé frissonne et court par les allées.
Eux, n'ayant plus l'asile ombragé des berceaux,
Ne peuvent pas dormir sur leurs pattes gelées.
Dans les grands arbres nus que couvre le verglas,
Ils sont là, tout tremblants, sans rien qui les protège;
De leur oeil inquiet, ils regardent la neige,
Attendant jusqu'au jour la nuit qui ne vient pas.
Une pièce de Maupassant d'une facture on ne peut plus classique. Cette Nuit de neige a-t-elle ému ou agacé un certain Gustave ? On dit que c'est Flaubert, son tuteur, son mentor, son parrain, qui conseilla au jeune Maupassant de ne pas persister dans la poésie. Sans ce conseil de Gustave au jeune Guy, nous n'aurions jamais eu de nouvelles de Maupassant.
Nuit de neige. Six strophes. Vingt-quatre vers. Des vers de Maupassant. Des vers auxquels Flaubert avait conseillé au jeune Guy de ne plus sacrifier. Des vers, le titre, justement, du seul ouvrage de poésies jamais publié par Guy de Maupassant. En 1880. A l'âge de trente ans. Chez Charpentier, Editeur. 13, Rue de Grenelle-Saint-Germain,13. Avec une superbe et tendre dédicace, police de caractères respectée :
A GUSTAVE FLAUBERT
A L'ILLUSTRE ET PATERNEL AMI
que j'aime de toute ma tendresse,
A L'IRREPROCHABLE MAITRE
que j'admire avant tous.