Sur le quai, il arrive que le bouquiniste accepte de donner des conseils de lecture. Me suis permis, comme ça, d'inciter plusieurs de mes fidèles passants du soir, à lire le suédois Stig Dagerman. Très peu connu. Trop peu connu. Il arrive aussi parfois qu'un passant qui s'attarde, et qui prend plaisir à une petite conversation littéraire devienne, sans le vouloir vraiment, un excellent prescripteur.
J'ai découvert, comme ça, il y a peu, un écrivain que je ne connaissais pas. Inès Cagnati. Le livre, un poche de chez Folio, c'est une passante du dimanche qui me l'a prêté. Elle a seulement dit : vous me le rendrez, c'est le mien ! Je l'ai tellement lu et relu, que j'y tiens. J'ai trouvé ça bien. Adorable remarque. Moi aussi, quand je prête un livre -ça m'arrive souvent sur le quai- j'aime bien qu'on me le ramène. Qu'on me le rapporte. Qu'on me le rende. Je m'appelle commme l'héroïne du livre, a seulement dit ma prescriptrice, en s'éloignant très vite à grands pas.
Le livre est une petite merveille. Trop beau. Trop cruel aussi. M'a rappelé plein de tranches de ma propre enfance. Pas des tranches de pain carré. Pas des tranches de baba au rhum, gâteau du dimanche en famille. Non, des tranches de vie. Une vie où c'était parfois dur de gagner son pain. Pain rassis souvent. Au goût déroutant. Mais aujourd'hui, de ce pain-là, j'en reprendrais bien une tranche.
Dans le roman, en forme de récit, ou dans le récit, en forme de roman, Marie, la petite bâtarde, nous parle de sa mère, Génie la folle. Une fille de bonne famille, rejetée par les siens, et qui s'est faite domestique agricole. De l'auteur de ce petit livre, je ne savais rien. Inès Cagnati a passé son enfance et son adolescence dans un milieu paysan italien du Sud-Ouest de la France. Elle a fait des études de Lettres. A obtenu le Prix Roger Nimier, en 1973, pour son premier livre, Jour de congé. A reçu le Prix des Deux-Magots pour Génie la folle en 1977.
Génie la folle m'a redonné envie d'écrire. De puiser à nouveau dans les séquences d'une enfance faite de terre et d'eau. De chemins de traverse, de poussière et de vent. De l'odeur particulière de la terre après la pluie. Des larmes qu'on essuie. Mais d''abord, je dois tout lire des livres écrits par Inès Cagnati.