© Jean-Louis Crimon
La ville n'est qu'un grand paradoxe. Ses murs : des miroirs d'inattendu. S'y reflète, au gré de nos pas, une histoire qu'on ne soupçonne pas. L'inattendu ? Textuellement : ce qu'on n'attend pas. Cette part de hasard qui fait naître le regard. La plupart du temps, les gens se promènent sans voir. Ils ont le regard préfabriqué. Ils promènent leur regard, dans une découverte écrite d'avance. Moi, plus ça va, plus c'est mon regard qui me promène. J'ai le regard aimanté. Mes yeux voient, malgré moi. Des choses que les autres ne voient pas. Le touriste n'aime pas l'improviste. Il ne veut voir que ce qu'on lui a dit de voir. Ne veut regarder que ce qu'il faut regarder. Les grands monuments. Les grandes oeuvres. Dans les grands musées. Le connu et le reconnu. Juste voir ce qu'il est prévu de voir. Au risque de décevoir. L'imprévu n'a pas sa place. Pas sa place, non plus, le face à face impromptu.
Pourtant, parfois, le prévu déraille. L'inattendu surgit. Incidence ou coïncidence. Tout bascule. Statique, le piéton. Immobilisé. Figé. Face à ces talons roses qui s'échappent. Lire la ville. Déchiffrer l'insolite. Trahir le quotidien. Savoir "voir". Ne pas se contenter de regarder. Accepter que le regard se pose soudain. S'arrête. Fasciné par l'imprévu. La photo: ce cadrage particulier qui saisit le regard de celui qui regarde. A l'instant précis où il regarde. Sans le déranger. Sans se faire voir. Sans perturber son regard.
Photographe.
Voyeur ou voyant.