L'an dernier, le peloton des coureurs du Tour de France avait choisi rive droite. Enfin, les organisateurs du traçé du Tour avaient choisi, pour eux, rive droite. Cette année, à quelques encablures de la Présidentielle, les voilà, eux aussi, les rois de la petite reine, rive gauche. Bien sûr, rien à voir avec une quelconque critique - même voilée - de ceux qui, à longueur d'année, font "la roue" (et paon !) et pédalent à côté du vélo. Le chemin qui méne cet après-midi aux Champs (Elysées) n'est pas l'expression d'un "Voeu clair" en ce qui concernerait le chant de l'Elysée.Le signe du chant. Ou le chant du cygne.
Non, le Tour, quai de la Tournelle, pour le bouquiniste astucieux ou cultivé, c'est juste l'occasion de desserrer un peu les cale-pieds. De changer de braquet. De montrer que, côté vélo, il en connaît, lui aussi, un ...rayon.
D'abord, dans son équipe à lui, avec ou sans dossard, en tout cas sans sponsor, ils sont tous là. Les historiques: Albert Londres, Tristan Bernard, Antoine Blondin, Pierre Mac Orlan, Colette. Mais aussi Louis Nucéra, Mes rayons de soleil , Bernard Chambaz, A mon tour, Eric Fottorino, Je pars demain, Christian Laborde, L'Ange de la montagne, Paul Fournel, Besoin de vélo, et Philipe Delerm, La tranchée d'Arenberg.
Le Tour, côté exploits ou performances littéraires, c'est une manière de prolonger le plaisir et ces instants de bonheur. Solitaire ou partagé. Qui n'a jamais souffert dans l'Aspin, le Peyresourde our le Tourmalet, ne saura jamais cet étrange rapport entre la souffrance de l'élévation progressive vers le sommet et l'exigente rigueur à se faufiler dans le peloton des mots et des idées.
Extraits. Albert Londres. Les forçats de la route. 1924.
"Montdidier, arrêt, ravitaillement. Je m'approche du buffet. Je croyais que les géants allaient manger en paix et m'offrir un morceau... J'étais jeune... Ils foncent sur des sacs tout préparés, se jettent sur des bols de thé, m'écrasent les pieds, me pressent les flancs, crachent sur mon beau manteau et décampent...
"Ils ne font pas le Tour de France pour se promener, ainsi que j'aimais à l'imaginer, mais pour courir. Ils courent aujourd'hui jusqu'au Havre, sans vouloir respirer, tout comme s'ils y allaient quérir le médecin pour leur mère en grand danger de mort.
"A Berteaucourt, je vois le premier géant couché sur le dos, au bord de la route. Si je ne vous dis pas son numéro, c'est que justement, il le porte sur le dos. Celui-là a déjà son compte !
"Flixecourt, la première côte. Puisque nous sommes aujourd'hui au premier jour, je tiens à vous présenter toutes les premières choses.
"Pour me venger du coup du buffet, je les ai dépassés et je les attends, non sans quelque sourire, au sommet de la rampe. Ils m'ont "eu" une fois de plus : si je n'ai rien avalé, eux ont avalé... la côte d'un seul coup."