© Jean-Louis Crimon Scène Champêtre. Emmanuel Bellini.
Gager un objet, un bijou, un tableau, un livre précieux, c'est parfois le lot du bouquiniste. S'il a trop acheté, pas assez vendu. S'il a un besoin immédiat de liquidités, c'est la solution la plus simple. Enfin, apparemment. Oui, en apparence seulement. Faire l'expérience de l'attente dans cette salle aux allures d'embarcadaire, de l'attente avant qu'on vous appelle au guichet, et, trois heures plus tard, de l'attente à la caisse, est en tout cas très formateur.
J'avais chez moi un tableau avec lequel je vivais en bonne harmonie depuis pas mal de temps. Un tableau qui, je le pensais vraiment, me rapporterait au moins mille euros et un sursis momentané. Mon tableau, intitulé "Scène Champêtre", représente des moissonneurs au travail. L'un d'eux, fatigué sans doute, se repose. Il est allongé dans l'herbe, les mains derrière la nuque. Les autres ne jouent plus énergiquement de la fourche. La journée est finie. La charrette est pleine. Un des moissonneurs indique au cheval le chemin du retour. Des tons verts et jaunes très Van Gogh. C'est un tableau de Bellini. Emmanuel Bellini (1904-1989). C'est un beau tableau, acheté à Cannes, il y a deux ou trois ans, chez un antiquaire. Deux mille euros. Un beau prix pour un beau tableau. Le problème, c'est que l'expert de "Ma Tante" en jugera autrement. Alors que pour moi, le tableau est parfait, le commentaire de l'expert, à la ligne "Réserve sur état" indique: défectueux, éclats au cadre, manques. Commentaire suivi d'un sigle que je ne connaissais pas encore: PRTU. Entre parenthèses, le sigle est traduit: Parties Rayées Tachées Usées. Je n'en crois pas mes yeux, mais je n'ai pas la force de contester cet assassinat en règle. Le pire est à venir. A la ligne Estimation, avec entre parenthèses à nouveau, limite garantie dommages, je lis 300 euros. Mon Bellini, mais oui, acheté à Cannes, 2000 euros, est estimé par un expert de chez "Ma Tante" 300 euros. 300 euros ! 300 euros, en vertu desquels, "Ma Tante" me créditera après plus de trois heures d'attente, l'attente chez "Ma Tante", un bon slogan, de...150 euros !
Montant du prêt, mais oui, pour avoir gagé mon Bellini : 150 euros. Date d'échéance: 20 juin 2012. Autrement dit, j'ai un an pour racheter mon tableau. Un an pour retrouver mon Bellini. Au prix où "Ma Tante" me l'a pris, je ne vais pas traîner. Dès la semaine prochaine, je vais le racheter. Je vais leur reprendre. Ces gens-là ne connaissent rien à l'art et rien à la valeur des choses. Je vais le reprendre, mon Bellini et je vais le proposer à Maître Besch, Commissaire-Priseur à Cannes. 45, La Croisette. Maître Besch, oui, pour sa célèbre vente du 15 Août, au Martinez. Lui, au moins, saura la valeur, la vraie valeur, de mon Bellini.
© Jean-Louis Crimon