© Jean-Louis Crimon Paris. Rue de Rennes.
C'est l'histoire d'un photographe qui a pris dans sa vie des milliers de photos. Des dizaines de milliers de photos. Sa quête, il l'a commencée très tôt. Dès sa première année de philo. Mais dans sa tête, c'est dans l'enfance que tout commence. Personne jamais ne voudra le croire : il est cet être rare qui a fait de la photo sans appareil photo. Simplement avec les yeux. Les yeux du coeur. Enfant, il écrit avec des mots les photos qu'il ne peut pas encore prendre. Il s'invente des poèmes qu'il appelle "poèmes photos".
" Le vieil homme marchait,
Balançant le bras,
Horloge humaine,
Rythmant le temps des choses."
Depuis ses sept ou huit ans, il le sait, il le sent, le temps est le seul problème important. C'est déroutant. Il en faut du temps. Un jour, il a 20 ans. Bac philo en poche. L'université est le plus beau des cadeaux. Le temps d'apprendre. De comprendre. Tout ce temps, au début de la vie, pour trouver un sens à la vie. A sa vie. Philosophie et photographie sont, pour lui, intimement liées. Philosophie de l'instant, photographie de l'instant, c'est tout un. Il veut en faire son objet de recherche. Une superbe "Maîtrise" où il montrerait sa parfaite "maîtrise" des concepts et des images. Le "mémoire" passerait par Kierkegaard, Jankélévitch, certaines pages de Proust, de Camus, Rimbaud, Prévert, et... Des philosophes et des poètes.
Il n'a jamais écrit plus de trois pages. Superbes d'ailleurs. Très joli prologue. Projet original. Ses Maîtres d'alors l'encouragent. Mais il n'a jamais rendu sa "Maîtrise". Il a, aux dires de tous, réussi, très vite, comme d'instinct, à acquérir une parfaite maîtrise de l'image. L'image arrêtée. L'image devenue, comme on disait autrefois, "instantané". Morceaux de temps arrachés au flux destructeur du temps qui passe, et qui fait que, nous les mortels, nous passons. Instants arrachés au temps. Sauvés. Non pas sauvegardés. Sauvés. Transfigurés. Instants durablement inscrits dans la durée. Instants définitivement placés hors du temps. Vraies petites parcelles d'éternité. Un goût d'éternel dans un destin forcément temporel. Irrésistible attrait de l'instant. Irrésistible séduction de l'instant. L'instant décisif. Décisif et dérisoire à la fois. D'emblée, -ses images en témoignent-, il avoue un faible pour "l'instant dérisoire". L'homme est modeste. De naissance comme d'essence. Modeste et très ambitieux à la fois. Ambitieux, pas prétentieux.
Ses photos, c'est beaucoup d'humanité et beaucoup de tendresse. Un sourire, parfois. Des larmes souvent. Des cris aussi. Des cris de détresse ou de rage. Ses photos, c'est de l'humanité qui transperce. Qui traverse. La vie comme la rue. La vie comme on traverse la rue.
Cri + Image = Crimage . L'homme a enfin trouvé son équation. Sous la forme d'une simple addition. Un "cri" + une "image", ça donne naissance à un "crimage" !
Ses photos, pour la première fois, il les montre, il les expose. Pour la première fois, il ose. Il quitte enfin le stade du "négatif" où il aura passé 40 ans de sa vie. De sa vie de photographe. Un photographe qui passe la majeure partie de sa vie au stade du ... négatif . Fabuleux. Exclusif ! Belle trame d'un roman à écrire et qu'il n'écrira peut-être pas. Il est, au fond, de cette race d'écrivains qui écrivent, avec leur vie, les livres qu'ils ne publient jamais. Livre unique, édité à un seul exemplaire. Sans être obligé de chercher à plaire. Ce qui n'est pas pour lui déplaire.
Ce photographe, bien sûr, c'était moi. C'est moi, puisque je suis toujours vivant. Puisque je continue à photographier. Intensément. Le monde et les gens. Les visages, les silhouettes, les paysages. Avec la même frénésie, la même exigence, le même enthousiasme. Je vais m'inscrire, à la rentrée prochaine, en Master de Philosophie. Paris 1 Panthéon-Sorbonne. Ma vie ne serait pas complétement réussie si je ne rendais pas, avant de tirer ma révérence définitive, mon mémoire de recherche. Mon mémoire de "Maîtrise". Le jour de gloire est arrivé. Le jour de modestie aussi. L'humilité, la vraie compagne du philosophe. Du photographe tout autant.
Le beau mémoire que je n'ai pas su écrire à 23 ans, je peux vraiment le concevoir quarante ans plus tard. Libéré, définitivement, du travail obligatoire, j'ai maintenant le temps. J'ai tout mon temps. Le temps d'écrire sur le temps. Sur l'instant. Photo !
CRIMAGES
47 photos à découvrir, du 27 mars au 20 avril 2012,
Galerie Synapse, 22, rue Saint-Leu, 80000 Amiens.