C'est le premier livre que je me suis acheté. Le Brel de chez Seghers. Le courtier qui me le propose aujourd'hui à 5 euros ne sait pas qu'il ravive la flamme du poète inconnu que j'étais dans la salle d'études des internes du Lycée d'une petite ville de province. Collection Poètes d'aujourd'hui. Numéro 119. Année 1964. Dans ma vie, j'ai bien dû en acheter quatre ou cinq exemplaires de ce Seghers-là. Prêtés à chaque fois à des amis, des copains, des camarades, mais jamais rendus. Jamais revus. Poète, le terme ne plaisait pas à Brel. Jacques Brel ne se sentait pas poète. N'aimait pas être qualifié de "poète". Chanteur, oui. Poète, non. Il s'en est expliqué à plusieurs reprises tout au long de son parcours de chanteur. "Le poème est fait pour être lu et relu. Un poème n'a pas besoin d'avoir une musique. Il se suffit à lui-même. Moi je ne peux pas écrire de poèmes, je ne sais pas trouver la sonorité poétique. J'ai besoin d'une note de musique pour faire sonner les mots."
Brassens et Ferré pourtant mettront en musique Villon, Paul Fort, Musset, pour le premier, Baudelaire, Verlaine et Rimbaud pour le second. Et aussi Aragon. En 1973, dans la "radioscopie" que Jacques Chancel lui consacre, Brel accepte de reconnaitre que sur les 440 chansons qu'il a alors écrites, il y en a peut-être trois qui peuvent être lues. En particulier Le Plat Pays. Davantage un poème qu'une chanson, concédera Brel au grand Chancel.
De Brel, je garde toujours en mémoire, et au fond du coeur, cette incroyable définition du lyrisme, lue dans une interview d'un hebdo dont j'ai oublié le nom : "Le lyrisme, c'est chanter tellement fort que si les gens voient pas vot' coeur, ils voient vos dents !"
Poète ou pas, je me suis dit alors -j'avais 15 ans- ce type est épatant.