Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
9 juin 2011 4 09 /06 /juin /2011 14:36

 

Parfois on le croit fermé, distant, comme en retrait. Debout, adossé au parapet, à côté de ses boîtes, le regard dans le lointain, ou assis sur sa chaise pliante, -tellement pliante qu'on en rigolerait presque-, le bouquiniste semble être un être à part. Un marginal. Un être en marge. Comme si dans la pleine page de la vie, il avait choisi pour marge définitive, cette portion de trottoir et ses huit mètres soixante de librairie de plein air. Il parle peu, répond juste aux questions qu'on lui pose. Rares sont ceux avec qui on peut d'emblée lier conversation. Enfin, c'est ce qu'on pense au début, au départ, a priori. On a tort. Si l'on sait s'y prendre, si l'on sait prendre le temps, si l'on sait être patient, on peut gagner, sinon l'amitié, du moins l'estime et la confiance de cet homme, ou de cette femme, qui ont choisi la rue pour exercer leur métier de marchand de livres d'occasion. Ça peut prendre des mois, des années. J'ai longtemps arpenté les quais à la recherche du livre introuvable, parce que vraiment rare dès le départ, ou épuisé et jamais réédité. Longtemps j'ai admiré de loin ces êtres mystérieux, à la fois romantiques et dépassés, complétement "has been" et toujours d'actualité. Bouquiniste, véritable artiste. Vrai paradoxe vivant, venu tout droit du moyen-âge. En traversant simplement le pont de la Tournelle, qui relie l'Île Saint-Louis à la Tour d'Argent, dans la tradition des marchands de parchemins ou des colporteurs des premiers livres imprimés. Les bouquinistes, je les admirais de loin et je me sentais proche d'eux. De leur univers, de leur monde. Un jour j'ai traversé la rue. Depuis tant d'années, je me sentais de la famille. Fallait bien qu'ils m'adoptent. Même si personne ne coopte.

Une année à peine, dimanche ou semaine, le coeur en joie ou l'âme en peine, sous la pluie ou sous le soleil de Paris, je me sens vraiment faire partie de cette curieuse confrérie. De l'intérieur, on comprend mieux les motivations de chacun. Les doutes, les certitudes. Les jours d'ouverture. Ouverture des boîtes et -parfois- allez savoir pourquoi ! fermeture d'esprit. Là aussi, savoir accepter le silence, la distance. Un geste de la main, un sourire, suffisent à se saluer. Sans excès. Sans paroles inutiles ou propos futiles. Cette vie de bouquiniste a ses codes, ses lois, comme un règle non écrite. Un engagement tacite. Une façon d'être ou de ne pas être. Franchement à l'écart d'une société où le différent est très vite suspect. Sur le quai, rien n'est jamais pareil même si souvent, pour les passants, les jours se ressemblent. Pour ceux de la ville, d'un pas tranquille, la balade sur le quai de Montebello ou de la Tournelle, rituel insolite pour rompre avec les habitudes.

A la fin, faut bien écrire le mot "fin". A la fin, ça aide à vivre, le bouquiniste se... livre.

Partager cet article
Repost0

commentaires

Présentation

  • : Le blog de crimonjournaldubouquiniste
  • : Journal d'un bouquiniste curieux de tout, spécialiste en rien, rêveur éternel et cracheur de mots, à la manière des cracheurs de feu !
  • Contact

Recherche

Liens