En 1954 - il y a 57 ans - une bachelière de 19 ans , Françoise Quoirez, publie chez Julliard un petit roman dont le titre est tiré d'un poème de Paul Eluard:
"Adieu tristesse
Bonjour tristesse
Tu es inscrite dans les lignes du plafond
Tu es inscrite dans les yeus que j'aime
Tu n'es pas tout à fait la misère
Car les lèvres les plus pauvres te dénoncent
Par un sourire
Bonjour tristesse
Amour des corps aimables
Puissance de l'amour
Dont l'amabilité surgit
Comme un monstre sans corps
Tête désappointée
Tristesse beau visage."
Ce "Bonjour tristesse", emprunté à l'auteur de "La vie immédiate", va immédiatement séduire le petit monde littéraire de l'époque. On salue d'emblée la liberté de ton et la maîtrise du style de cette jeune femme qui a décidé de s'appeler Sagan. Tout en gardant son vrai prénom, Françoise. Cent mille, deux cents mille, deux cents cinquante mille lecteurs découvrent très vite la petite musique typique de Sagan. D'autres livres suivront l'incroyable succès de 1954, Un certain sourire (1956), Dans un mois, dans un an (1957), Aimez-vous Brahms ? (1959), Les merveilleux nuages (1960), avec toujours, en moins de deux cents pages, cette musique douce amère des amours désenchantés, et la jolie ronde superficielle des mêmes personnages: le quadra séduisant, l'étudiant touchant mais maladroit, la jeune fille hardie, qui a sensiblement l'âge de la narratrice, le tout sur fond de voiture de sports, d'étés au soleil du sud, de whisky et de boîtes de nuit, et d'un certain ennui. L'enfant prodige des lettres transpose à peine une vie qui est aussi un peu, beaucoup, passionnément, la sienne. Une aussi belle insouciance appelle forcément un insolent succès. Très vite, c'est fait.
L'envers du décor tutoiera parfois la page des faits divers. L'accident en voiture de sport. L'alcool. La drogue. L'argent gagné une nuit au casino et réinvesti le lendemain matin dans l'achat de cette maison de vacances qu'on a la flemme de quitter. Celle qui met sa vie dans ses romans se choisit, normal, une vie de roman. Dans la vraie vie, elle est l'héroïne qui traverse ses livres, d'une ivresse qui n'est pas que poétique ou romantique, mais d'alcool bien réel. Boire la vie à pleine bouche. Mordre la vie à pleine dents. Et en rire, très fort, tant qu'il est temps.