© Jean-Louis Crimon Paris. 41, Quai de la Tournelle.
L'idée est celle d'un collectif d'associations féministes. A la veille du 8 mars, journée internationale de la femme, s'attaquer au plus célèbre des bastions de la domination masculine: la règle de grammaire qui veut que, dans notre langue, toujours, en cas d'accord, ce soit le masculin qui l'emporte.
Les féministes en question demandent le rétablissement de la règle dite de proximité, datant de 1767, qui exigeait autrefois, à l'époque des rois, d'accorder l'adjectif avec le nom le plus proche ainsi qualifié. En vertu de quoi, il faudrait à nouveau dire:
"Les hommes et les femmes sont belles" et non plus "Les hommes et les femmes sont beaux". Julien, mon voisin sur le quai, chauffeur de taxi dans une autre vie, et qui, soixantaine superbe, porte plutôt beau, s'est exclamé: "Les hommes et les femmes sont belles ! Celle-là, elle est bien belle !"
Chez les bouquinistes, la langue, c'est un peu notre gagne-pain. D'abord, il faut l'avoir bien pendue si l'on veut vendre chaque jour quelques bouquins. La grammaire n'est pas la première de nos préoccupations. L'imparfait du subjonctif, pas davantage. Au nombre de femmes qui exercent dans la corporation, on pourrait concéder que chez nous aussi, comme dans d'autres assemblées, c'est -malheureusement- toujours le masculin qui l'emporte. De là à remettre en cause une règle de grammaire apparemment acquise et partagée par le plus grand nombre, ça, ça étonne et scandalise mon voisin.
Pour le plaisir de la discussion, qui est toujours, avec lui, un vrai bonheur, je me suis amusé à lui faire commenter cet exemple d'accord trouvé sous la plume d'une blogueuse. Mon voisin est réfractaire au monde internet , aux mails et aux blogs, mais il aime assez bien être tenu au courant. Je lui explique donc: tu connais le mot tailleur. Une femme en tailleur, ça te va ? La phrase, Julien ! pas la femme ! L'exemple. Je ne te parle pas d'une femme en tailleur, en particulier. Juste de cet exemple particulier d'une femme en tailleur.
Je poursuis : tu connais le mot "cravate" ? Tu es d'accord avec moi que "tailleur" est du genre masculin, mais que c'est généralement beaucoup mieux porté par le" genre féminin", je veux dire "par une femme" ! Maintenant, "cravate", toujours d'accord avec moi, Julien, est bien du genre féminin. Mais, problème: une cravate est plutôt un attribut masculin. Les hommes portent des cravates. Même si, c'est vrai, certaines femmes, en de rares occasions, s'attribuent parfois, le port de ce que Freud n'a peut-être pas osé qualifier de "symbole phallique". Bon, Julien, imagine donc que ta femme aille au pressing récupérer ta cravate et son tailleur. Que va lui dire la dame du pressing ?
Votre Tailleur et votre cravate sont prêtes ? Non, la dame du pressing dira " Votre tailleur et votre cravate sont prêts !"
Mon voisin Julien s'est juste exclamé: Tout ça, c'est la faute à Richelieu et à son Académie Française ! Adorable Julien. Qui a ajouté -ce en quoi, il n'a pas tort- : tu sais, tout ça, ça dépend comment on parle. Tôt ou tard, c'est l'oral qui l'emporte sur l'écrit. Pas l'inverse.
J'ai repensé à ce que m'avait dit un jour, il y a au moins vingt ans, dans un taxi, un ami, professeur de linguistique, alors que je lui faisais part de ma déception d'entendre régulièrement à la radio "un interview" au lieu de "une interview", "un autoroute" au lieu de "une autoroute", et pire encore "cette interview, je l'ai fait" au lieu de "cette interview, je l'ai faite". La phrase de mon ami professeur de linguistique, - je m'en souviens comme si c'était hier-, c'est : le linguiste n'est pas le législateur de la langue, il est seulement le greffier de l'usage.