Mon premier livre. Un livre vraiment à moi. Pas un livre emprunté à la bibliothèque scolaire. Ma mère me l'a offert pour mon anniversaire. Mes onze ans, je crois. Le plus beau des cadeaux. Un cadeau vivant. Un cadeau au coeur qui bat à chaque fois qu'on le prend. Jour merveilleux. Inoubliable. Pour la première fois, la première fois de ma vie, j'avais un livre, un vrai livre, un livre à moi. Pas un livre de classe, Pas un manuel scolaire. Un livre, un livre qui raconte une histoire, avec un début, avec une fin, un roman quoi. D'abord ce titre La Cachette au fond des bois. Un titre qui déjà vous emporte, vous embarque, vous entraîne - irrésistiblement- pour ces pays étranges qui n'existent que dans les idées ou les rêves des écrivains. L'auteur s'appelait Olivier Séchan. Séchan. ses chants. Ses champs. J'imaginais l'auteur séchant sa plume entre ses chants et ses champs. Ce jour-là, pour la première fois, j'ai compris le sens, la vraie raison, de ce métier des mots: un écrivain, c'est celui qui inscrit sa vie entre ses chants et ses champs. Il sème à sa façon, et les lecteurs, s'ils le veulent, récoltent les pensées ou les graines de pensées. Un écrivain est un jardinier qui sème des pensées dans la tête des gens. S'appeler Séchan était plus qu'un signe: une prédestination. C'était mieux que Soin pour être infirmière ou médecin. Ou Laflotte pour être cantonnier. Ou Buvard, et finir le foie en éponge.
Claire, l'héroïne de La Cachette au fond des bois, avait donc aussi sa place dans mes "Elles préférées" et je crois bien qu'elle avait ma préférence, même si elle n'avait qu'une existence de papier. Grâce à Monsieur Séchan, je savais tout d'elle, et si elle avait su des chose de moi, je crois qu'elle aussi m'aurait aimé. Aimé d'amour. Peut-être même que, moi aussi, j'aurais eu sa préférence. Un jour, j'ai voulu écrire à Monsieur Séchan pour lui poser la question. Ma mère a dû me dire que ça ne faisait pas. Qu'on ne dérangeait pas les écrivains pour ça. Que sur le livre, il n'y avait pas son adresse. Qu'au mieux, je pouvais bien écrire à Claire, on verrait bien si elle me répondrait. J'ai dû dire: Maman, ne me prends pas pour un idiot, je sais bien qu'une héroïne de roman n'a pas le pouvoir de répondre aux lettres qu'on peut lui écrire. Ma mère a dit oui. Et que c'était d'ailleurs bien dommage.