Paris. Lycée La Fontaine. Mai 2012. © Jean-Louis Crimon
Sur le quai, en général, on ne parle pas "politique". Le bouquiniste, par tempérament, ou à cause des intempéries, parfois -rarement- intempérant, est rebelle à tout, s'affirme contre tout, oui, franchement contre. Dans une même tirade, il vous critique le Maire de Paris, l'actuel, l'ancien aussi d'ailleurs, qui, "s'il revenait aux affaires, ne serait pas meilleur". Critique tout autant l'actuel Président, le gouvernement, l'opposition, l'Etat, la France, l'Europe, et le monde libéral. Dans ses "libéralités", le bouquiniste n'oublie pas les socialistes et les communistes qu'il ne ménage aucunement. Anarchiste, le bouquiniste ? Sans doute, mais de "droite". Anarchiste de droite.
Je caricature à peine. Depuis bientôt deux ans de vie à l'intérieur de cette corporation bizarre, j'en ai entendu de toutes les couleurs -politiques, s'entend. Des vertes et des pas mûres. Des blettes, et des "avariées" qui ne varient pas. Et puis, des franchement "pourries". Stoïque sur ma portion de quai, j'écoute, souvent en silence, l'incroyable litanie des aigreurs et des aigris. Je prends mon mal en patience. Je ne suis que de passage. On est tous de passage. La différence, c'est qu'eux, se croient éternels. Moi, j'ai la conscience aigüe que cela ne dure pas. Pas très longtemps. Je sais que tout passe et que nous passerons. Que valent les certitudes des mortels que nous sommes ? Nos convictions, nos vérités, n'ont rien d'inoxydable. Le temps qui rouille tout, les métaux, les sentiments, les idées, les enthousiasmes, aura raison de nous. Certains d'entre nous rêvent de changer le monde, de "changer la vie", mais le cri de Rimbaud, détourné un temps par les socialistes de François Mitterrand, n'a pas vraiment transformé nos façons d'être ou de gouverner. Désormais, tous les cinq ans, le peuple choisit son "représentant". Son "champion". C'est le temps de la campagne de l'élection Présidentielle. Nous y sommes.
La campagne à la ville, la campagne vue du quai, ça ne manque de piquant. Le bouquiniste peut, s'il le veut, devenir le chroniqueur du bout du quai. L'Editorialiste du coin de la rue. Le billetiste impromptu. Parfois, au vol, on chope des bribes de paroles de passants. On entend des gens qui parlent de "l'hyper Président". Sans savoir comment ça s'écrit vraiment. Moi, j'ai ma petite idée. Je lis dans les sons. Je sais lire en creux le trop plein. Tout petit déjà, j'avais cette manie de chercher d'autres sens que le sens courant. Avec l'âge, ça s'accentue. J'adore le sens qui tue. Qui destitue. Les exactes paroles de la chanson amère de ceux que le pouvoir exaspère, j'en maîtrise parfaitement la secrète orthographe. Je lis très bien entre les lignes. Entre les signes. Je décrypte, je décode, j'ai le son filigrane.
En un instant, dans la bouche des gens, parole, "L'hyper Président" est devenu... "L'y perd Président". M'a bien plu ! J'adore -pardonnez-moi- mon côté déco... dant !