Lui, c'est l'infiltré ! La formule a jailli de l'autre bout de la table. Je venais à peine de m'asseoir parmi les nouveaux bouquinistes. C'était il y a deux ans. Réunion de rentrée pour introniser les nouveaux. Personnalités intéressantes. Bonnes gueules. Beaux parcours. Plaisanteries. Taquineries. Mises en boîte. Façon de mettre à l'aise. De marquer son territoire.
- Ta spécialité, c'est quoi ?
- Curieux de tout ! Spécialiste en rien !
Mon voisin de commenter: ça commence bien !
Je n'ai pas compris pourquoi.
J'étais là simplement. Sans arrière-pensée. Sans a priori. Sans idée préconcue. Sans masque. Sans manière. Sans façon. Sans phrase de circonstance. Sans propos retenus, style "je n'aurai pas dû".
Je me trouvais confondu. Démasqué. Identifié. Perçu non plus comme entrant, mais déjà comme intrus.
L'infiltré ! Quel mot !
Deux ans plus tard, à l'heure du départ, je me dis qu'au fond, ce bouquiniste-là avait raison. Avait vu clair avant moi. Infiltré, j'étais. Infiltré, je serai. Infiltré, j'aurais été. Malgré moi.
Le journal du bouquiniste, publié ou pas, en témoignera.