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17 août 2011 3 17 /08 /août /2011 22:26
Amiens. Lycée Louis Thuillier. 1977-78. Chengdu. Université du Sichuan. Sept. 2011. © DR
Amiens. Lycée Louis Thuillier. 1977-78. Chengdu. Université du Sichuan. Sept. 2011. © DR

Amiens. Lycée Louis Thuillier. 1977-78. Chengdu. Université du Sichuan. Sept. 2011. © DR

 

Au début, - fin des années soixante-dix, je suis professeur de philosophie. Maître Auxiliaire. A la fin de chaque cours, j'ai instauré un petit rituel. J'annonce la notion qui sera à l'étude au prochain cours. Je demande à mes élèves de préparer par des lectures le travail d'approche qui doit être le nôtre.  Puis je leur lance, fausse boutade, vrai principe de vie, cette injonction  en forme de païenne bénédiction  : "Entre Etre et Avoir, ne vous trompez jamais d'auxiliaire", avant d'ajouter, en ayant bien marqué un beau silence, en guise de respiration : " et vous pouvez me croire, moi qui suis... Maître Auxiliaire ! "  Trente ans plus tard, dans cette ville qui est toujours un peu la mienne, il n'est pas rare que mon chemin croise celui d'une ou d'un ancien élève. Le dernier en date, un employé EDF, sonnant chez moi pour le relevé du compteur, s'est exclamé spontanément, dès la porte ouverte, bien avant les salutations d'usage, et avec un plaisir manifeste : "entre Etre et Avoir...". Rires et accolade inattendue. Belle lumière dans le regard. Preuve que, lui et moi, nous n'avions pas trop vieilli, en trente ans de temps. Preuve surtout qu'il avait, lui, retenu l'essentiel du cours de philosophie. Même si entre temps, lui comme moi, avions dû, comme beaucoup d'autres, faire pas mal de petites concessions successives au règne de l'Avoir. Sans pour autant renier les ambitions d'Etre. Sans pour autant se faire Avoir.

 

Le 1er juillet 1979, tout juste eu le temps de surveiller les épreuves écrites du bac philo, je deviens journaliste. La veille, Georges-Louis Collet, le Rédacteur en chef historique du Courrier Picard, le quotidien de ma ville, m'accueille dans son bureau de la rue Alphone Paillat. Passées les quelques minutes d'échange courtois sur nos humanités respectives (il avait été autrefois professeur de Lettres), l'homme me met d'emblée à l'aise : Parait que vous savez écrire, montrez-nous ce que vous savez faire. Georges-Louis poursuit : Un stagiaire vient de nous faire faux bond. Je vous engage pour les deux mois d'été. Il me tend la main, et me dit : vous commencez demain ! Moi : demain, c'est ... Lui : oui, c'est dimanche, mais vous apprendrez, jeune-homme, que le journal du lundi, se fait et s'écrit le dimanche ! Dernière recommandation du Rédacteur en chef, le plus bel encouragement jamais reçu de ma vie : surtout, sentez-vous libre !

Juillet et août 79, deux mois d'été où je conjugue chaque jour le mot "liberté". Avec un enthousiasme et un zêle incroyables. Ce Quotidien, issu de la Résistance, me donne la chance inouïe d'écrire des papiers irrésistibles. A faire fondre toutes les résistances. Je m'en donne à coeur joie. Deux mois extraordinaires qui décidèrent de ma nouvelle vie. Deux mois qui durèrent près de quatre ans. Mille et un papiers sur mille et un sujets. L'apprentissage au quotidien, dans tous les sens du terme, du fascinant métier d'écrivain de reportages ou de chroniqueur des mots de tous les jours. Le cadre de la rubrique "Le tour de ville", où la Rédaction avait un temps souhaité voir se limiter l'expression de mon regard ou de mon talent, ne résistera pas longtemps aux fugues répétées de l'échotier qui rêvait d'inscrire le grand reportage au coin de la rue. La quête et l'enquête, comme premier principe de conquête d'un lectorat régional qui ne tarde pas à surnommer son journal, à l'instar de Marc Kravetz, "Le Libé des campagnes".

 

Un jour, lassé de ne pas vraiment savoir "écrire court", (j'alignais sans problème cinq ou six feuillets sur n'importe quel sujet), je me vire moi-même et je vire vers la Radio. D'abord Radio France Picardie, un micro pour écrire avec la voix.  Un "micro" curieusement présent depuis toujours dans mon propre patronyme. Sans acrimonie, Crimon découvre qu'il y a "n micro" cachés dans son nom. Je deviens homme de radio. Radio France Picardie, Amiens, puis France Inter, Paris. Puis Copenhague. ESP au Danemark, Envoyé Spécial Permanent de Radio France, pour tutoyer les pays scandinaves  et les pays baltes, Lituanie, Lettonie, Estonie. La Pologne et la Russie aussi parfois, via Varsovie et Saint-Pétersbourg. Trois ans de journalisme en capitales pour des rêves de départ plutôt minuscules : Oslo, Stockholm, Helsinki, Tallin, Riga, Vilnius... Un beau jour, retour en Picardie, pour diriger cette radio qui m'avait, dix ans plus tôt, accueilli comme pigiste. Enfin, France Culture où, fin juin 2009,  je boucle l'aventure, en présentant, chaque soir de la semaine, le journal de 22 heures et le flash de minuit.

 

De ce périple de trente ans au pays des médias, je garde deux ou trois certitudes et une foultitude de questions. Pour faire court, -la règle du métier- je me borne aux certitudes :

 

Un: je confesse un faible définitif pour un journalisme qui dérange, qui prend l'actualité à contre-pied, qui rebondit, qui choisit et qui sait dire "non". Non surtout aux sirènes de la com', la communication, souvent, trop souvent, brouilleuse et embrouilleuse de pistes.

 

Deux: je suis pour un journalisme de reportage et d'enquête. Pour un journaliste à la fois observateur, narrateur et interprète de la réalité. Sans jamais oublier cette réalité première : les faits sont têtus et ne se soumettent qu'à la question. Aux questions. Ici, le pluriel n'est pas singulier. C'est le singulier qui serait ... singulier.

 

Trois: pas de pertinence sans impertinence. Regard critique oblige. Décryptage indispensable. Je suis définitivement, avant de vous tirer ma révérence, pour un journalisme irrévérencieux.

 

Quand à la recherche de la vérité, la quête et l'enquête, choisir là encore les chemins humains : non pas "couvrir" mais "découvrir", non pas assurer "la couverture" mais prendre le parti de "la découverte". Enfin, en ce qui concerne la sacro-sainte objectivité, ne jamais oublier que nous sommes tous des sujets et que nous ne produisons rien d'autre que du "subjectif". Moralité : cette objectivité journalistique que certains voudraient nous imposer est un leurre, une illusion. La vérité de la presse ne sera jamais une vérité scientifique, d'ailleurs toute relative elle aussi, mais une vérité toute humaine, c'est à dire toujours imparfaite et toujours à parfaire.

Résolument, je persiste et je signe : je suis à tout jamais pour l'imparfait du subjectif.

 

© Jean-Louis Crimon

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commentaires

L
<br /> J'aime bien cette phrase: je suis à tout jamais pour l'imparfait du subjectif<br /> <br /> <br />
C
<br /> <br /> Merci Lin ! C'est vrai, "vraiment vrai", si on peut dire. Un principe de vie et une règle d'écriture aussi !<br /> <br /> <br /> <br />

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