"... sans mensonge, il n'y a pas de civilisation. Mentir est pour l'homme le plus noble des arts. Nous remettons tout en question sauf une chose : le mensonge est partout. L'histoire n'est que la transmission de mensonges. La presse n'est qu'une machine à diffuser le mensonge. Celui qui est doué pour le mensonge est le plus heureux des hommes car savoir mentir, c'est posséder la sagesse. Réfléchissez bien : au cours d'une journée, si on n'avait pas fréquemment recours au mensonge, combien de fois faudrait-il se battre ? Et n'en va-t-il pas de même dans la vie conjugale ? Comment, sans l'aide du mensonge, un homme et une femme pourraient-ils se supporter pendant douze heures ? Nous n'éprouvons aucun remords de conscience quand nous disons des mots doux ou écrivons des lettres d'amour qui ne sont que mensonges. Et pourtant l'amour est une chose sacrée. Le vainqueur devient roi et le vaincu vagabond, c'est un fait admis et la victoire est, pour une bonne part, due au mensonge."
Ces lignes, ces mots, sont les mots de la lettre que reçoit, un beau jour, un homme qui s'est toujours cru parfaitement honnête. Pour cet homme, aucun doute, la lettre est l'oeuvre de ce groupe dont il a entendu parler et qui s'est intitulé "Société des menteurs". Recevoir une telle lettre était une véritable offense. Plus loin dans la lettre, les rédacteurs affirmaient " nous savons que le mensonge est un bien précieux. Nous mentons donc honnêtement et nous pratiquons le mensonge comme un art ". L'avant-dernière phrase de la lettre, juste avant la formule de politesse, était vraiment insupportable, ça disait : "J'ai ouïe dire que vous mentiez souvent et j'espère donc de tout coeur que nous pourrons nous étudier mutuellement pour être plus heureux et apporter notre contribution à la civilisation universelle. Me ferez-vous l'honneur... "
"L'homme qui ne mentait jamais" , c'est le titre de la première des quatorze nouvelles de Lao She, traduites du chinois par Claude Payen et publiées, en 2006, chez Picquier Poche. Nouvelles écrites par Lao She dans les années trente. Entre 1934 et 1939, précise, dans sa préface, le traducteur. Nouvelles qui, sans mentir, méritent tout le bien qu'en dit, en quatrième de couverture, le critique du Monde : "On retrouve ici avec joie l'acidité et les paradoxes de cet extraordinaire raconteur d'histoires, cousin chinois de Dickens et de Mark Twain. Petite merveille."
De Lao She, il faut lire aussi Gens de Pékin. Gallimard. Folio. 1993.