L'homme s'est approché de mes boîtes avec grâce et lenteur. Il avait traversé à hauteur de la rue de Pontoise. Plutôt grand. Beau visage et beau regard. Beaux cheveux blancs. Tout du sage. Il a d'abord survolé assez rapidement l'ensemble des ouvrages de chaque boîte avant de se mettre à chercher plus méthodiquement. Négligeant le coin des nouvelles et des romans, mais s'attardant, avec un plaisir manifeste, du côté des Essais. N'y tenant plus, il risque: avez-vous des ouvrages sur la Chine ? Je lui indique l'endroit de la troisième boîte où quelques ouvrages sur "Chine, Japon, Mongolie" sont réunis. J'ai vécu dix ans en Chine, vous savez, il y a très longtemps, reprend l'homme, tout en poursuivant sa recherche.
Je le laisse chercher à sa guise. C'est bien de laisser leurs aises aux acheteurs éventuels. Je le sais d'instinct. Ou plutôt d'expérience. Du temps où c'était moi l'acheteur familier des bouquinistes. Quand je n'aimais pas trop qu'on me colle. Qu'on me serre de trop près.
- Je suis en quête d'un ouvrage qui a été publié dans les années trente, chez Payot. Bleichsteiner en est l'auteur. Son titre L'Eglise jaune. Si vous le trouvez, monsieur, vous ferez de moi le plus heureux des hommes. Je veux absolument relire ce livre avant de mourir.
- Qui parle de mourir ?
- Vous savez, j'ai plus de 85 ans, alors, à cet âge, à la mort, on y pense !
- Interdiction de mourir avant que je vous trouve le livre, monsieur, et en bon bouquiniste, soyez-en persuadé, je vais prendre tout mon temps, pour mener mon enquête et ma quête. Laissez-moi votre adresse ou votre téléphone, et je vous informerai de la progression de mes recherches.
L'homme m'a tendu la main. Bonne poignée de main, ferme et franche. Contrat signé. Vie prolongée. Livre vendu. Quand je mettrai la main dessus.