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27 juillet 2011 3 27 /07 /juillet /2011 16:52

 

Les propos du samedi par André Billy. Le Figaro Littéraire. Semaine du 2 au 8 janvier 1964. SUITE ET FIN.

 

"Quand nous étions en voyage, dit-elle encore, s'il me voyait engagée dans la plus innocente conversation, il arrivait à grandes enjambées, l'air furieux, et ordonnait à la personne qui me parlait de me laisser tranquille, parce que, disait-il, je lui appartenais. Alors je me fâchais contre lui, je refusais d'avoir affaire à lui, je refusais de lui parler... "

 

Un jour, à Londres, il lui acheta un boa en plumes. Mrs Payden était furieuse. Elle ne laissa sortir sa fille avec Guillaume qu'après lui avoir fait promettre d'être rentrée pour neuf heures. Il l'emmena chez son ami l'Albanais, dont la maîtresse attendait un enfant et qui prépara pour eux un lit dans le salon. Epouvantée, Annie refusa de rester. A neuf heures, elle réintégra le toit familial. "Ma mère était furieuse... " Ces mots revenaient sur ses lèvres comme un  refrain.

 

Elle s'était mis dans la tête d'émigrer dans un pays dont le nom commence par un A : Amérique, Australie... Pourquoi pas l'Afghanistan ? C'est cependant pour échapper à Guillaume qu'elle prit le faux prétexte d'un engagement aux Etats-Unis.
Le grand argument qu'il avançait pour la séduire était qu'il la ferait comtesse, qu'il descendait d'une famille de la noblesse russe pleine de généraux. Il parlait beaucoup de sa mère, de son père jamais, et pour cause...

 

"Je revois encore Kostro me faisant au revoir de la main à la gare. Etait-ce Waterloo ou Victoria ? Il était à moitié sorti de la fenêtre. C'est la dernière image que j'aie de lui. J'ai gardé un pendentif qu'il m'a donné... "

 

Mrs Postings alla chercher un grand coffret plat, d'une forme compliquée. L'intérieur du couvercle était capitonné de satin blanc et portait le nom d'une bijouterie de la chaussée d'Antin. L'intérieur était un vrai labyrinthe en forme de coeur, dans les replis duquel on voyait un bijou finement travaillé, décoré d'émail noir, avec une bordure de fausses perles, le tout typiquement modern style  et d'aspect plus voyant que précieux. Qu'Annie ait gardé ce souvenir de Guillaume qu'elle avait oublié, qu'elle l'ait même encore sous la main, c'est curieux.

 

Quant à Mme Vockins, qui avait douze ans quand sa soeur en avait vingt, elle reçut de Paris une bague que sa mère ne lui laissa porter que dans les grandes occasions. Elle aussi a gardé ce souvenir de Guillaume. Elle le montra aux visiteurs : un cercle de métal avec une petite perle entourée de diamants dont Annie dit en le voyant que Kostro l'avait certainement volé à sa mère, mot dont elle ne se souvient pas. " Merci pour votre visite, dit-elle aux trois amis quand ils remontèrent en voiture. Je crois que je vais faire de beaux rêves cette nuit. J'ai, grâce à vous, l'impression de ne pas avoir vécu en vain." Pensée un peu tardive qu'elle aurait pu avoir il y a dix ans, quand elle apprit par qui elle avait été aimée, mais c'est pêut-être seulement l'année dernière qu'elle a compris l'importance d'Apollinaire.

 

Nous devons la publication de cet article du New York Times à Michel Decaudin, prince de l'érudition apollinarienne, et qui a réuni dans un numéro spécial de la Revue des lettres modernes d'autres textes relatifs au poète d' Alcools, à sa vie et à son oeuvre, mine inépuisable de trouvailles et de recoupements. 

                                                                                                                                                              André Billy

                                                                                                                                                 de  l'académie Goncourt.

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