ZONES D'OMBRE, c'est le titre de la une du quotidien Libération de ce matin.
ZONES D'OMBRE, le titre, est accompagné de 7 questions.
Sept questions qui méritent sans aucun doute d'être posées. Relisons-les :
1/ L'enquête a-t-elle démarré assez vite ?
2/ L'identification informatique a-t-elle traîné ?
3/ Ne fallait-il pas saisir d'emblée la justice antiterroriste ?
4/ Pourquoi Merah n'était-il plus surveillé ?
5/ Quel rôle a joué Claude Guéant à Toulouse ?
6/ Pourquoi le premier assaut a-t-il échoué ?
7/ Pourquoi Mohamed Merah a-t-il été abattu ?
En pages intérieures, sous le titre générique "Merah, un drame en questions", les réponses à ces 7 questions, page 2 et page 4 du quotidien, et l'Editorial de Nicolas Demorand, ne me posent aucun problème. C'est bien fait, bien construit, bien écrit. Du bon travail de bons journalistes.
Ce qui me gène, en revanche, ce sont les questions qui ne sont pas posées.
Manque tout d'abord une première question. Une question qui s'adresse à la profession de journaliste. Une question qui éclaire toutes les autres : la question de la couverture médiatique de l'événement en question. La question du style de la couverture médiatique. La surmédiatisation de l'évènement, aussi extraordinaire soit-il, doit nous interroger sur certains excès et certaines dérives. Informer, oui, d'accord, mais pas n'importe comment. Pas à n'importe quel prix. Ce qui s'est passé ce jeudi 22 mars 2012, en fin de matinée, à Toulouse, me semble poser autant de questions à la profession de journaliste audiovisuel de chaînes d'info en continu qu' aux hommes du RAID.
J'ai la faiblesse de penser qu'on ne commente pas une fusillade entre les hommes du RAID et un terroriste retranché comme une action de jeu dans un match de foot ou de rugby. Sauf à faire basculer la réalité de la télé dans la télé-réalité.
Le commentaire, en direct, à chaud, d'une telle fusillade, qui va durer cinq bonnes minutes, devait-il être mis en ondes, mis à l'antenne et diffusé en direct ?
Mettre à l'antenne cet évènement, au moment-même du dénouement, un dénouement pour le moins spectaculaire, n'est-ce pas privilégier l'audience et le spectaculaire, au détriment de la véritable mission d'informer ? N'est-ce pas définitivement sombrer dans l'information-spectacle ?
C'est une banale évidence : la présence des journalistes modifie le cours d'un évènement. Le cours de l'évènement. C'est une seconde évidence : les politiques utilisent la présence des journalistes. Le terroriste aussi. Transformé en "ennemi public mondial", par le gigantesque impact médiatique de l'évènement, un évènement dont il est l'unique auteur, le premier metteur en scène, Mohamed Mehra ne s'est-il pas vanté, auprès des policiers, "d'avoir mis seul la France à genoux" ?
Les médias sont-ils conscients d'avoir une réelle part de responsabilité dans la construction du délire de toute puissance de l'individu qui vient de commettre sept meurtres ? Le tueur au scooter ne devait pas être indifférent à tout ce qui pouvait se dire de lui. En pareil cas, le "black out" ne serait-il pas préférable ? Précieux pour permettre aux hommes du RAID ou du GIGN de mener à bien, et en toute tranquillité, en toute efficacité, leur mission ?
Rendre compte, oui. Mettre en scène, non. Participer à la mise en scène de l'évènement, non. On parle d'instrumentalisation. Le journaliste doit-il être, volontairement ou pas, complice de cette instrumentalisation ?
Le ministre de l'intérieur, Claude Guéant, commentant la progression et l'action des hommes du Raid, tout au long des trente-deux heures de siège, est-ce quelque chose de normal ? d'acceptable ? De qui le ministre de l'Intérieur est-il alors le chargé de communication ? Est-ce son rôle ? sa place ? Confusion des genres et des missions regrettable. Inacceptable.
Une certitude : les interrogations des journalistes ne seront jamais celles des policiers. Le travail du journaliste n'est pas le travail du policier. Une charte déjà ancienne des droits et devoirs de la profession ne précise-t-elle pas "le journaliste ne confond pas son rôle avec celui du policier" ? Faut-il y ajouter, à un mois de l'élection présidentielle, "le journaliste ne confond pas son rôle avec celui du chargé de communication d'un homme politique en particulier" ?
Une dernière question pour aujourd'hui : un journaliste, ça doit donner à "voir" ou à "comprendre" ?
Questions trop nombreuses. Questions pas vraiment d'actualité. Questions sans réponses.
Pour une bonne et simple raison : questions à peine posées.
Questions qu'il va bien falloir un jour se poser. Le plus tôt sera le mieux.
Permettre à un terroriste de mourir en martyr, pour les caméras et les micros du monde entier, n'est pas le meilleur moyen de lutter contre le terrorisme.