Le ciel avait vraiment couleur d'orage. Des reflets d'or dans dans les nuages trop blancs, trop gris, trop bleus. Trop acier aussi. L'orage n'est pas venu. Les clients non plus. A ce qu'on dit, beaucoup avaient choisi de faire le pont. Pas le Pont de la Tournelle. Pas le Pont de l'Evêché. Le pont, le grand pont d'un grand congé de quatre jours. Les quais semblaient déserts. Heureusement, les fidèles étaient là. Pour le plaisir de la balade. Pour le plaisir de la rencontre. Le bonheur des mots simples qu'on échange. Un instant, sur le banc, comme de vieux amis, on devise. De la vie, du temps qui passe, des enfants qui grandissent. Des livres qu'ils aiment. Des auteurs qu'on adorait à leur âge. De cet auteur tombé dans l'oubli. Définitivement. Qui mériterait pourtant d'être relu.
Vers sept heures du soir, on se décide à fermer les coffres verts de la librairie de plein air. On a vendu quatre ou cinq livres et on s'en contente. Raison de ce bonheur certain: les livres sont entre de bonnes mains. On salue les voisins. On vérifie deux fois la position des cadenas. Puis chacun rentre chez soi. L'air est lourd. Curieusement, le coeur aussi. Il y a des jours comme ça.
Plus tard, beaucoup plus tard, vers minuit, l'orage, enfin. Libérateur. Avec sa pluie torrentielle. Des tonnes d'eau tombées du ciel. Des gerbes liquides jaillissant des roues des voitures. Soudain, un éclair immense dessine au ciel une étrange fracture.