Début des années 80. Picardie. Festival International du Film d'Amiens contre le racisme et pour l'amitié entre les peuples. Festival créé par des cinéphiles proches du MRAP. Soirée d'après projection. On se retrouve au bar. Assis côte à côte. Lui, il parle. Moi, j'écoute. Je bois ses paroles. La magie opère. Avec ce conteur né, le comptoir devient contoir. J'aime sa voix, rugueuse, rocailleuse, comme le pays de rocailles d'où il vient. D'où viennent ses ancêtres. Chabrol écrit avec la voix. Je ne me souviens pas de ce qu'on a bu ce soir là. Une bande magnétique garde quelque part le souvenir précis de notre conversation. Question : où est-elle ? Où est surtout le Nagra, qui pourrait lire les sons de la bande magnétique. A l'heure du son numérique, l'analogique n'a (presque) plus cours.
Envie de relire cet écrivain oublié. Passé de mode. Même pas. Avec Chabrol, c'est commode, on avait le droit de se moquer des modes comme de la mode.
A portée de main, Contes d'Outre-Temps, recueil de textes, d'abord écrits à la voix, chroniques pour la radio. Un rytme. Un ton. Un sens de l'ellipse. Un souffle particulier. Une vraie musique.
Ecoutez plutôt. La Bonne Pluie. Page 33.
Les Parisiens pestent contre la pluie.
- Vous croyez que ça va tomber ce week-end ?
- Bah ! il pleut tout le temps.
Moi, je viens du pays des pluies heureuses. Quand le ciel crève sur lui, mon village lève le nez. Les paysans soupirent d'aise, ils disent, de la pluie: "Elle fait respirer le vallon."
Elle a sa chanson pour le toit, sa chanson pour les feuilles, son vernis pour les couleurs, elle exalte les senteurs, refait une beauté au paysage.
La Pluie, c'était l'Eau -on vivait si près de la terre !- on l'attendait.
Mon grand-père me disait gaiement : "Viens, on va marcher sous la pluie."
On allait, sans se presser, en offrant son visage au ciel.
Sans le savoir, deux "Jean-Pierre" m'ont tracé une part du chemin. M'ont ouvert la voie. La voix ? le goût desmots-paroles. Le goût des mots parlés. Jamais eu l'occasion de leur dire. De leur dire comme ça. Simplement. Je le fais ici. Où qu'ils soient, la chose leur sera rapportée.
Heureux, vraiment, de les avoir croisés ces deux-là dans ce siècle ancien déjà. Lui, Jean-Pierre Chabrol, et l'autre Jean-Pierre, son copain, Farkas. Chabrol, l'écrivain, le conteur. Farkas, le baroudeur, l'inventeur du "Journal inattendu". Chabrol et Farkas, deux vrais humains comme trop rarement il en passe.