Soirée électorale. Premier tour de la présidentielle. Soirée télé, sûr, mais avec une ou deux radios pas loin. Info et Inter. Rituel des questions pour fignoler la mise en scène. Quels enjeux ? Quelles alliances ? Quel taux d'abstentention ? Quelle participation ? Quels seront les deux finalistes ? Autant de points d'interrogation pour meubler l'attente.
Nous sommes à 34 minutes de la révélation des premières estimations. C'est Pujadas sur France 2... Pujadas qui a déjà dit qu'il savait tout ou presque, mais que la loi lui imposait de ne rien dire avant 20 heures, et qu'il respecterait la loi. Dans 23 minutes... Dans dix minutes... Dans deux minutes... Dans 30 secondes... Dans 20 secondes... Les deux ombres sur les murs du Palais Présidentiel vont avoir un visage. Dix secondes....Incroyable suspens !
9...8...7...6...5...4...3...2...1...0... Les deux finalistes sont... François Hollande, sur l'ombre de gauche (ça tombe bien ! ) et... Nicolas Sarkozy, sur l'ombre de droite. Normal. Les estimations sont inattendues. Sauf pour les sondeurs. Hollande : 28,40 %. Sarkozy : 25,50 %. Marine Le Pen est donnée à 20 %. Impensable. Mélenchon à 11,70. Déception. Bayrou à 8,50. Cruel. Tiens, les sondeurs ont sous-estimé le Front National et surestimé le Front de Gauche. Autre constat, pas le moindre : pour la première fois sous la cinquième République, un Président sortant n'est pas en tête au premier tour. Au-delà du mésamour, le rejet. Rejet du sortant. Rejet.
Cette fois, c'est parti, ça prend tournure. Les choses sont bien faites. La télé, pour ça, c'est formidable. Une soirée électorale, surtout pour une présidentielle, c'est mieux qu'un match de foot. Clasico Hollande/Sarkozy. C'est chaud. Plus important que PSG-Sochaux. Une soirée électorale à la télévision, c'est mieux qu'en vrai. On est partout en même temps. Dans les QG des candidats. A Tulle. Salle Equinoxe. Rue de Solférino. Place Stalingrad. A la Mutualité, insolite QG UMP. Ou avec Mélenchon, sublime, quand il dit "Je vous appelle à vous retrouver le 6 mai, pour battre Sarkozy, je vous demande de ne pas traîner les pieds, je vous demande de vous mobiliser comme s'il s'agissait de me faire gagner l'élection présidentielle." Manuel Valls souligne : c'est normal, c'est logique, c'est bien ! Je n'en doutais pas un seul instant. Alain Juppé, 20h25, forcément : C'est pas parce qu'on est en tête au premier tour que l'on gagne au second. Alain Juppé, pitoyable et sinistre.
Plus tard dans la soirée, premières déclarations. Premiers discours.
Avec François Hollande, la gauche dit "Mes chers concitoyens". Citoyen me va bien. Je me sens bien dans la peau du citoyen. Citoyen de la République. Une République de citoyens. Une République enfin exemplaire.
Avec Nicolas Sarkozy, la droite dit "Mes chers compatriotes". L'amour de la patrie, je n'ai jamais bien compris ce que ça pouvait signifier. Je ne me sens pas patriote. Toutes ces guerres menées au nom de la patrie et qui ont conduit au tombeau des pans entiers du peuple, quelle que soit la patrie invoquée, m'ont guéri à tout jamais du goût pour la patrie. L'amour de la patrie, idée éculée. Argument dépassé.
"Sarkozy joue l'argument de la stature, mais Hollande rassure". Sais plus qui vient de dire ça, mais c'est bien vu. Bien vue aussi la situation d'impasse où se trouve le Président-candidat. "Son problème à Nicolas Sarkozy, c'est comment faire ? L'appel aux classes populaires. A l'identité nationale. Oui, mais attention : danger ! Chaque fois qu'il se portera à droite, Sarkozy, ou vers l'extrême droite, il va perdre le centre. Il aura beau dire "J'incarne davantage le pays que François Hollande", le rejet est trop grand." Manifestement, les campagnes pour le second tour ne vont pas être les mêmes: Hollande a besoin de ne rien changer, Sarkozy a besoin de tout changer. Deux figures. Deux personnalités. Deux projets.
Ici, c'est Pujadas qui pose la question qui fâche :"où sont les réserves de voix de Nicolas Sarkozy, à part les voix du Front National ? " Bonne question. Ce soir, contrairement au souhait du Président-candidat, ce n'est pas François Hollande qui est l'otage du Front de Gauche, c'est Nicolas Sarkozy qui est l'otage de Marine Le Pen. Celui qui, en 2007, avait siphonné les voix du père vient de les rendre à la fille. Avec les intérêts. L'héritière a de quoi être fière. Merci Guéant. Merci Guaino. Honte pour la France entière. Le score de la droite extrême, "une tache sur les valeurs de la France républicaine", Eva Joly n'hésite pas. Qui lui donnerait tort ? Le" F haine" devient trop fort.
Le second tour, davantage que le premier, risque d'être un référendum pour ou contre Nicolas Sarkozy. Je ne sais plus qui a dit ça. C'est assez juste. Un autre aurait pu répondre : "A qui la faute ?" Le rejet, la violence du rejet, n'a d'égale que la violence du mépris affiché pendant des années. Pendant cinq années.
Ailleurs, c'est Madelin qui loue la ténacité et la lucidité de François Bayrou. Bayrou qui a tenu à faire campagne sur la rigueur et sur l'effort. Bayrou qui s'évertuait à ne prometttre que "du sang et des larmes". Bayrou qui voit son score de 2007 divisé par deux : 8,80%. Bayrou qui assure qu'il prendra ses responsabilités. Bayrou qui souhaite attendre les réponses des deux finalistes à ses questions avant de se prononcer.
Madelin encore qui expose sa conception d'une présidentielle en six tours : deux tours de l'élection proprement dite, deux tours pour les élections législatives, quatre tours classiques auxquels Madelin ajoute, pas peu fier de sa trouvaille un cinquième tour : vigilance des marchés financiers. Puis un sixième tour : le tour de la vigilance sociale.
Ailleurs enfin, c'est Ségolène Royal qui cite François Mitterrand :"quand il y a dynamique de rassemblement, ce ne sont pas des additions, ce sont des multiplications".
Fin de soirée, les estimations se rapprochent des résultats bientôt définitifs. Presque officiels. Même si l'on se dit que ça peut encore bouger un peu. A la marge. Comme disent ceux qui sont... à la page.
Hollande : 28,80 %. Nicolas Sarkozy : 26,10 %. Marine Le Pen : 18,50%. Jean-Luc Mélenchon : 11,70 %. François Bayrou : 8,80 %.
Eva Joly a appelé clairement à voter François Hollande. Poutou et Mélenchon à battre Sarkozy. Hollande sera élu Président de la République, le 6 mai prochain, à 54 % contre 46. Nouveau sondage. Pas le dernier. Disons, le premier de l'entre-deux-tours.