"Avu d'el pleuve qu'alle n'in finit point d' tcherre
Pis en' vielle ramonchlée à ch'coin d'sin fu
Qui conte, qui conte, pis qui raconte s'n'histoère
Avu d'z'imaches, pis des mots qu'on n'comprind mie pu"
En ce matin de pluie douce sur le jardin, me reviennent ces paroles d'une chanson rêvée et écrite au début des années soixante-dix. Quand les Picards que nous étions, après les Occitans, les Basques ou les Bretons, se voyaient chanter aussi leur langue, même baptisée à tout jamais dialecte. Les mots de ma Tante Laure m'étaient alors revenus d'un coup, d'un seul, leur musique avec. Ces sonorités particulières que les trouvères du Nord ont fait si bien chanter dans la langue d'oïl, aussi belle, quoi qu'on en dise, que la jolie langue d'oc, chantée et enchantée, elle, par les troubadours du Sud. Troubadours et bardes des années soixante-dix portaient noms Claude Marti, Joan-Pau Verdier, Allan Stivell et Gilles Servat, mais les trouvères eurent du mal à se trouver. Le dialecte picard, trop proche du français, ne leur a sans doute pas facilité la tâche. Cela dit, les quelques chansons crées à cette époque semblaient plutôt attachantes. Prometteuses. Mais parfois, la vie ne tient pas ses promesses. Marc Monsigny, Patrick Séchet, Dominique Moisan, Philippe Boulfroy, que sont vos chansons devenues ? Un long jeu ou deux, 33 tours et puis s'en vont.
En français, pour ceux qui n'auraient complétement décrypté, la premère strophe de ma chanson picarde:
Avec de la pluie qui n'en finit pas de tomber
Puis une vieille recroquevillée au coin d'son feu
Qui conte, qui conte, et puis qui raconte son histoire
Avec des images et des mots qu'on n'comprend même plus
Pour celles et ceux qui aimeraient approfondir le sujet, un petit ouvrage vient de me passer dans les mains La Littérature de l'Oise en Langue Picarde, du 12ème siècle à nos jours. Ouvrage publié en 2005 par l'Office Culturel Régional de Picardie. L'auteur, François Beauvy, né à Sarcus, dans l'Oise, a toujours vécu dans le Beauvaisis et a découvert, enfant, Philéas Lebesgue, l'immense poète de La Neuville Vault, en Pays de Bray picard. En moins de 120 pages, François Beauvy retrace le parcours et le contexte des oeuvres d'une vingtaine d'écrivains picards de l'Oise. Il nous fait notamment découvrir Hélinand de Froidmont et Philippe de Remi, sire de Beaumanoir. La date de naissance Philippe de Remi n'est pas précisément connue, mais on sait qu'il est mort en 1265. Philippe de Remi est l'auteur de poèmes divers, de Fatrasies, de Jehan et Blonde et de la Manekine. Hélinand de Froidmont était, lui, l'ami de Philippe de Dreux, évêque de Beauvais, et d'Henri de Dreux, évêque d'Orléans. On sait de lui que, trouvère devenu, il se produit dans les théâtres, sur les places publiques, dans les écoles et à la cour du roi. Poète connu et admiré,il décide pourtant de tout quitter pour se retirer à l'abbaye cistercienne de Froidmont, à quinze kilomètres à l'est de Beauvais, en lisière de la forêt royale de Hez. Devenu moine, il reste silencieux pendant plusieurs années avant d'écrire Les Vers de la Mort. Long poème, composé de 1194 à 1197, que François Beauvy définit comme "l'oeuvre vigoureuse et exceptionnelle, d'un homme d'environ trente-cinq ans qui a choisi de vivre dans une abbaye cistercienne marquée par la réforme de saint Bernard". Hélinand de Froidmont vivra vieux pour son époque, au-delà de soixante ans, peut-être même jusqu'à presque soixante dix-ans. Il serait mort en 1237.