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25 juillet 2011 1 25 /07 /juillet /2011 16:51

 

Il arrive parfois au bouquiniste de faire, dans un lot de livres dont on veut se débarasser, des découvertes plus ou moins extraordinaires. Notes manuscrites oubliées, rarement signées. Images pieuses. Faire-part de mariage ou de décès. Tickets de train ou de métro. Billets de théâtre ou de cinéma. Le plus souvent, ce sont des articles, découpés plus ou moins soigneusement et pliés en quatre - ou en huit, selon le format du journal. Pas toujours en rapport avec l'auteur ou le sujet du livre qui a abrité pendant des années, souvent des dizaines d'années, la coupure de presse en question.

L'article dont je veux aujourd'hui vous faire partager la lecture a été découpé dans le Figaro Littéraire - semaine du 2 au 8 janvier 1964. Titre de la rubrique ou de la chronique: Les propos du samedi par André Billy. Sa lecture, pour qui connaît tant soit peu l'oeuvre d'un certain Kostro, alias Apollinaire, auteur éternel de La Chanson du Mal-Aimé, est d'un intérêt, sinon exceptionnel, du moins assez précieux. On découvre que la belle Annie, qui se voulut insensible aux avances du jeune Guillaume, n'a su que très tardivement par qui elle avait été aimée et chantée. Et même, incroyable cruauté féminine,  qu'elle n'hésita pas à tirer, rétrospectivement, une certaine fierté d'avoir su si bien résister aux avances de ce conquérant de Guillaume. Sinon, "il n'aurait pas écrit ces beaux poèmes" !

 

Lecture.

 

"Faut-il rappeler dans quelles circonstances Guillaume Apollinaire était devenu amoureux d'Annie Playden ?

Elinor Holterhöff, vicomtesse de Milhau par son mariage, possédait un hôtel à Paris, rue Chalgrin, et des propriétés au bord du Rhin. Pour sa fille Gabrielle, elle avait engagé une gouvernante anglaise. Elle voulut un précepteur français. On lui recommanda Wilhelm de Kostrowitzky, qu'elle engagea aux appointements de cent francs par mois pour trois heures quotidiennes de leçons. Au bout d'un certain temps, la vicomtesse, qui avait acheté une auto, proposa au jeune poète de l'emmener en Allemagne. Attiré par le Rhin et par le charme de la gouvernante, il accepta. Le 22 août 1901, il partit pour Cologne avec Mme de Milhau; la fille et la gouvernante prirent le train. Un tel voyage en auto, à cette époque, c'était une expédition. Se fit-elle sans incident ? L'histoire ne le dit pas. Voilà donc notre Guillaume installé tour à tour à Honnef puis à Neu-Glück, l'étrange castel des Holterhöff où il allait passer l'hiver. Il était déjà épris d'Annie, mais la jeune puritaine, fine et gaie d'ailleurs, lui résistait et, comme il est de règle, plus elle lui résistait, plus il avait envie d'elle. Un périple qu'il fit seul en Allemagne n'arrangea pas ses affaires. La jalousie s'en mêla. Il faisait des scènes à Annie, qui le fuyait de plus en plus. Au terme de son année de préceptorat, il rentra en France désespéré.

 

"A Paris, il eut quelques passades, mais il n'oublia pas Annie et lorsqu'un écrivain Albanais lui offrit un séjour à Londres, où Annie Playden vivait chez son père, il s'empressa d'accepter. Bons Anglicans, les Playden firent un accueil plutôt frais à cet étranger de nationalité incertaine, de profession plus incertaine encore et catholique par surcroît. Il réussit pourtant à obtenir qu'Annie le guidât à travers Londres. Malgré ses objurgations elle se refusa encore et le pauvre Guillaume revint à Paris Gros-Jean comme devant. C'est alors qu'il écrivit sa célèbre Chanson du Mal-Aimé. L'année d'après, nouveau voyage à Londres et nouvel échec. Annie Playden n'entendit jamais parler de lui jusqu'au jour relativement récent où Robert Goffin, le poète et critique belge bien connu, découvrit qu'elle vivait aux Etats-Unis et lui apprit que le précepteur français qui l'avait poursuivie de ses assiduités cinquante ans plus tôt était devenu un grand poète et qu'on le célébrait depuis sa mort dans tous les pays civilisés.

 

"Or, l'année dernière, trois apollinariens de marque, Françis Steegmuller, rédacteur au New York Times, le Polonais Norbert Guterman et le professeur de français Le Roy Breuing, apprirent qu'Annie Playden, devenue Mrs Postings, vivait maintenant à Katonah, chez sa soeur, Mrs Vockins, propriétaire pour chiens. Par un bel aprés-midi d'automne, ils prirent l'autoroute de Sawmill River au bout de laquelle, ayant tourné à gauche et franchi le pont, ils parvinrent au n°221 de Bedford Road, à Katonah. C'est, à demi cachée par des arbres, une maison de bois, déjà ancienne, peinte en gris et précédée d'une pelouse. Le chenil est dans le fond. Les voyageurs furent reçus par Mrs Vockins, femme grande, maigre, souriante, vêtue d'un pantalon vert, qui s'excusa de les introduire par la cuisine. Sur la cuisinière mijotait le dîner des chiens. Le salon et la salle à manger étaient encombrés de meubles vieillots. "Tantine ! Tantine ! appela Mrs Vockins avec un fort accent anglais. Des Messieurs pour toi ! " Tantine était le nom que les fils de Mrs Vockins donnaient à leur tante. Alors apparut celle que Francis Steegmuller décrit comme la créature la plus délicieuse qu'il ait jamais vue, potelée, rose sous ses cheveux blancs. Elle souriat de ses lèvres et de ses yeux qui étaient de la couleur du bleuet et brillaient plus que les fleurs de sa robe. Le Roy Breuing la connaissait déjà. Les présentations faites, elle dit comment elle avait pris sa retraite quelques années auparavant et qu'elle habitait maintenant Katonah avec sa cadette qui était veuve. Elle avait quatre-vingt-trois ans.

 

SUIVRA.SUIVRA.SUIVRA.

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