Le dimanche n'a pas été grandiose. Trois euros pour un Poche. Le Pavillon des Cancéreux. Soljenitsyne. Trois euros. Tout juste de quoi me rembourser mes deux tickets de métro. Beaucoup de promeneurs, sur le quai, pour le dernier dimanche d'été. Avec déjà, dans le ciel, un paquet d'accents d'automne.
Une étudiante en quatrième année de Lettres, à la Sorbonne, cherchait Pauvre Belgique de Charles Baudelaire. Pour son mémoire. Un texte en prose en forme de pamphlet où l'auteur des Fleurs du Mal ne dit pas que du bien du pays d'Outre-Quiévrain. Je ne l'avais pas. Lui ai conseillé de demander à mon voisin Julien. Ou à ma voisine Marie-Hélène. Ou, vraiment, si c'est urgent, d'aller voir sur Price Minister. Ou chez Gibert. Texte méconnu de Baudelaire, quasi introuvable, pendant longtemps. Sinon dans La Pléiade. Pamphlet inachevé, republié, l'an dernier, chez Ramsay, avec Les Lettres de Belgique à sa mère.
Le 24 avril 1864, criblé de dettes, Baudelaire décide de fuir ses créanciers français. Trouve refuge dans un hôtel minable de Bruxelles. Pense gagner un peu d'argent en faisant des conférences. Mais son réel talent de critique d'art ne déplace pas les foules. Charles écrit des lettres terribles à sa mère, la veuve Aupick. Charles parle d'une Belgique insupportable, caricature de la France bourgeoise qu'il exècre. Son texte Pauvre Belgique restera inachevé. A Bruxelles, preuve de la profondeur de son désespoir, il s'invente son épitaphe en un mot : Enfin !
Plus tard, s'arrête longuement devant mes boîtes, une petite dame aux cheveux tout blancs. Elle s'empare d'un ouvrage au titre éloquent : Au risque de l'Esprit. Me demande avec un petit sourire en coin et un air narquois : ça parle de quoi ? Moi, faussement énigmatique: Madame, la réponse se trouve dans la majuscule du E du mot Esprit !
Elle me lance : A dimanche prochain ! Ce n'est pas un Adieu. Juste un Au-Revoir ! Elle ajoute, en partant, à petits pas pressés : Mettez-le moi de côté, parce que, là, je file, je vais être en retard à la messe.
Plus tard, encore, sur le parvis de Notre-Dame, étrange spectacle. Apparition soudaine. Un Christ géant pour attirer le regard des gens. Photo. Forcément. Cadrage impossible. Trop de monde : ça grouille de partout. Je risque. Une image. Même pas deux.
En bas, à droite de l'image, symétrique parfaite, la vie est bien faite, message personnel du Christ tout blanc à une Marie-Madeleine éventuelle, petit mot d'amour d'une dimension assez peu spirituelle : Trésor.
© Jean-Louis Crimon
(Chroniques du Bouquiniste, 16 septembre 2012).