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10 novembre 2024 7 10 /11 /novembre /2024 08:57
Copenhague. Nyhavn. Juin 1995. © Jean-Louis Crimon

Copenhague. Nyhavn. Juin 1995. © Jean-Louis Crimon

C'est ma dernière année dans le petit Royaume. Ma mission de trois ans prendra fin en septembre. Les enfants ont terminé l'Ecole française, Prins Henrik Skola, l'Ecole du Prince Henri, et je décide de dire à mon fils qui va sur ses cinq ans :

"Tu sais, François, nous allons bientôt quitter le Danemark pour rentrer en France, il faut que nous allions dire au revoir à monsieur Andersen."

C'était un jeu entre lui et moi de dire "Bonjour" aux statues que nous croisions dans les parcs de la ville. Au cours de nos promenades, on saluait ainsi le philosophe Soren Kierkegaard, le roi à cheval Christian X, la petite Sirène et Hans Christian Andersen. Un jour où je le portais sur mes épaules, en rentrant d'une visite à la petite Sirène, il me dit soudain :

- Pap', t'as plus beaucoup de cheveux sur la tête.

- Oui, je sais, ce sont les soucis, le travail, je vieillis et je perds mes cheveux. C'est la vie. C'est comme ça.

- Non, c'est pas ça Pap'. Moi, je sais pourquoi. C'est parce que tu vas bientôt devenir une statue.

Je m'arrêtai net et, l'asseyant sur un banc qui se trouvait là, je m'agenouillai à ses pieds et lui demandai : "Pourquoi dis-tu ça ? C'est triste ce que tu dis."

- Non, c'est pas triste. Un jour, on sera tous des statues, toi d'abord, en premier, ensuite maman, puis moi, et après, ma petite soeur, Florence.

 

Logique, ce petit bout d'homme, me dis-je, en le réinstallant sur mes épaules pour poursuivre notre balade. Délicat en plus : il respecte la hiérarchie des âges.

Quand nous arrivâmes, mon fils et moi, au 68 Nyhavn, pour saluer une dernière fois Andersen, son buste avait disparu. Ne restait plus que le socle de pierre. Le musée, créé dans la maison que le plus célèbre des Danois avait habitée à la fin de sa vie, était définitivement fermé et la statue avait été retirée.

- C'est triste, dis-je à mon fils, Andersen n'est plus là.

- Non, Pap', c'est pas triste. Peut-être il est redevenu vivant.

 

J'ai serré très fort mon fils dans mes bras. Sans le savoir, un philosophe d'à peine cinq ans venait de trouver les mots pour conjurer l'irréversible. Je me jurai de ne jamais oublier la leçon.

 

© Jean-Louis Crimon

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