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11 novembre 2024 1 11 /11 /novembre /2024 08:57
Amiens. Cimetière Saint-Pierre. 11 Nov. 1979. © Jean-Louis Crimon

Amiens. Cimetière Saint-Pierre. 11 Nov. 1979. © Jean-Louis Crimon

 

En ce 11 Novembre 2024, me revient en mémoire un autre Onze Novembre. Je me souviens du 11 Novembre 1968. Cette année-là, année scolaire 68-69, année du cinquantenaire de l'armistice de la première guerre mondiale, je suis élève de Terminale au Lycée Lamarck d'Albert, dans la Somme, en Picardie. A l'internat, un camarade de Bray-sur-Somme, un bon millier d'habitants, me raconte que dans son village, les Anciens Combattants ont refusé de se rendre au cimetière Allemand : "Ce n'était pas des alliés !"

 

Pas des alliés ! Est-ce celà se souvenir ? Y-a-t-il encore des frontières et des drapeaux chez les morts ? Mon sang n'a fait qu'un tour. Mots de guerre et mots d'amour plein la bouche. Sans rature, sans retouche, mon poème fait mouche.

Ce soir-là, salle d'études des internes, j'écris, je crie, je beugle mon premier chant de révolte. Qui sera ma première censure. Censuré par le Proviseur : "Monsieur, votre torchon, c'est le brûlot d'un anarchiste ! Votre prétendu poème n'a pas sa place dans le journal du Lycée !" 

J'ai retrouvé il y a peu le brouillon. Jailli d'un seul jet. Pas mal écrit. Du fond, du son, du fond dans la forme. Oui, pas si mal écrit. Pour un apprenti poète de même pas 20 ans. Dont le grand-père est mort du gaz ipérite, poumons brûlés par le gaz moutarde des allemands qui voulaient sans doute pimenter la mort au combat.

 

 

Onze Novembre

 

Des Anciens Combattants

Battant de la semelle

Derrière un porte-drapeau

Et d'autres cons battant

Battant des mains

Pour ceux qu'ont pu sauver leur peau...

 

D'accord qu'on se souvienne

Mais pas pour jouer les patrios

 

Vous me direz pourtant

De quoi, de quoi, j'me mêle

Mais je ne pourrai pas manquer d'vous dire

D'vous dire et d'vous redire

D'accord qu'on se souvienne

Mais pas pour jouer les patrios

 

D'accord qu'on se souvienne

Mais pas pour jouer les patrios

 

Dans les mains du poilu

Du Monument aux Morts

Entre les arbres qui seront c't'hiver aussi des morts

Dans les mains du poilu

Du Monument aux Morts

Ils ont mis la bleu-blanc-rouge loque

 

D'accord qu'on se souvienne

Mais pas pour jouer les patrios

 

Ces diables de bonshommes

Ces hommes du Bon Diable

Trop heureux ou trop fiers d'avoir été de la Grand Guerre

D'avoir été de tristes cons pères

Ont travesti leurs fils

De leurs bleu-horizon oripeaux

 

D'accord qu'on se souvienne

Mais pas pour jouer les patrios

 

Et puis ils se recueillent

Pour ceux qui sont des morts sans cercueil

Et l'on voit des combattants

Battant de la paupière

Pour ceux qui ont battu les tranchées

Pour Jacques ou Jules ou bien Pierre

 

Alors on ose espérer qu'ils se souviennent

Simplement et vraiment de ceux qui ne sont plus

 

Mais déjà ils entonnent

Leur hymne national

ça leur prend aux tripes, moi ça m'fait dégueuler

De voir ces cons qui déconnent

Au nom de la Patrie

De voir que des pauv' types sont morts

Pour que de pauv' cons soient encore en vie

 

D'accord qu'on se souvienne

Mais pas pour jouer les patrios

 

Et la bleu-blanc-rouge loque

Au vent de Novembre

Claque et flotte, flotte et claque, claque et flatte

Les A.C. pleins de breloques

Les A.C. qui débloquent

J'foutrai le feu à la tricolore loque

 

D'accord qu'on se souvienne

Mais pas pour jouer les patrios

 

Y'en a assez de ce genre d'A.C.

Faut que ça cesse ou qu'on fasse cesser

Que ça cesse et qu'on n'ait plus à dire

A chaque fois que commence une nouvelle guerre

Que bien sûr ce sera... la der des der

 

Alors et seulement alors

Qu'on se souvienne d'accord

D'accord qu'on se souvienne

Des pauv' types qui sont morts.

 

© Jean-Louis Crimon   

 

Quand je pense à toutes les guerres qui vont suivre cette guerre qui devait être "la der des der", baptisée ainsi par ceux-là mêmes qui l'ont faite, et quand je relis mon poème censuré, je persiste et je signe, deux fois plutôt qu'une, et des deux mains. Me faut-il égrener le chapelet morbide de toutes les guerres qui ont suivi ? 39-40, qui massacre jusqu'en 45, dite "seconde guerre mondiale", guerre d'Indochine, guerre de Corée, guerre d'Algérie, guerre du Viêt Nam, guerre d'Afghanistan, dite "guerre soviéto-afghane", sans oublier toutes les guerres africaines qu'on ne nomme pas, et qu'on ne cite jamais, de la guerre du Biafra à la guerre du Soudan, et tous les conflits armés plus ou moins permanents qui agitent cette planète qui n'est qu'un géant champ de bataille. Tout récemment, guerre d'Ukraine et guerre de Palestine, pour nous rejouer 14-18. Aucun doute, Cro magnon et Néandertal ou Sapiens, dans leurs cauchemars les plus noirs, ne devaient pas imaginer terreurs et horreurs pareilles. A se demander aujourd'hui qui sont les hommes préhistoriques et où sont les barbares qui prétendent, comble du comble, répandre partout sur la planète le mot "Civilisation".

 

JLC.

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