Fluminimaggiore. Sardaigne. La rue près de l'église. Avril 2017. © Jean-Louis Crimon
Bien sûr, mes lettres sont restées sans réponse. Là où tu es, si tu es quelque part, on n’écrit pas à ceux d’en bas. A supposer que toi, tu sois en haut. Le fait que tu n’aies pas eu de vraie tombe, dans un vrai cimetière, me fascine chaque jour davantage. Fosse commune, pour un destin hors du commun, n’est pas commun.
Je pense souvent à ce jour-là où on t’a mis en terre. Etait-ce dans l’enceinte de l’Hôpital ? Là où tu es mort. Etait-ce dans le carré des indigents ? Est-ce qu’au moins il y a eu deux ou trois humains pour accompagner ton cercueil ? Un camarade de la mine, un prêtre, un enfant de choeur ? Est-ce que tu es mort seul dans ta chambre d’hôpital, te plaignant de souffrir, comme Rimbaud, de ta jambe amputée. Est-ce que tu as dit comme tous les amputés : « j’ai mal à la jambe que je n’ai plus » ? Est-ce que quelqu’un t’a tenu la main pour le passage ? Est-ce que tu t’es senti mourir ? Est-ce que tu as revu des images de ton village de Sardaigne ? Est-ce que tu as eu la force de redessiner mentalement les rues de Fluminimaggiore, et d’abord cette petite rue près de l’église où tu es né et où tu habitais ? Est-ce que tu as revu, un à un, comme on égrène un chapelet vivant, les visages de tous ceux que tu as connus et aimés dans ton enfance sarde ? Antioco, ton père sabotier et chevrier ? Maria, ta mère. Vicenzo, ton frère le plus proche de toi ? Maria, la seule fille de la famille ?
A quoi as-tu pensé au moment ultime, au moment du dernier souffle, à l’instant du dernier soupir ? Je ne pourrai jamais le savoir. Je ne le saurai jamais. Sur qui ou sur quoi as-tu porté ton dernier regard ? Questions inutiles puisque forcément sans réponse.
© Jean-Louis Crimon