Cimetière de Charleville. Eté 2008. © DR
Un particulier qui pour l'instant garde l'anonymat, a acquis, le 8 décembre dernier, chez Piasa, à Paris, lors de la vente aux enchères du manuscrit "L'Eternité", plusieurs lettres et documents rares, pour la coquette somme de 280 000 euros. Il a fait don de ses littéraires emplettes à la ville natale d'Arthur Rimbaud, Charleville.
" Il ne pleut jamais. Voici un an que je couche continuellement à ciel ouvert. Pour moi, j'aime beaucoup ce climat, et j'ai toujours horreur de la pluie, de la boue et du froid", écrit Rimbaud dans une lettre de deux pages écrite à Aden, adressée à sa mère et à sa soeur le 15 janvier 1883.
La lettre la plus émouvante, la plus cruelle aussi, est datée du 23 juin 1891. Arthur écrit à sa soeur Isabelle. Il est couché dans son lit d'hôpital, à la Conception à Marseille, une jambe en moins. Sur une page, il dit sa souffrance et sa solitude : "Je ne fais que pleurer jour et nuit, je suis un homme mort, je suis estropié pour toute ma vie (...). Enfin, notre vie est une misère, une misère sans fin ! Pourquoi donc existons-nous ?"
© Jean-Louis Crimon
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Deux semaines après Noël, c’est un magnifique cadeau que vient de recevoir la Ville de Charleville-Mézières. Le maire Boris Ravignon, lors de ses vœux aux habitants ce dimanche, a fait part de sa « joie » en annonçant la surprise : deux lettres manuscrites d’Arthur Rimbaud, ainsi qu’un poème de lui, mais de la main de Paul Verlaine, rejoindront bientôt les collections du musée Rimbaud, grâce à un « généreux donateur » qui souhaite pour l’instant rester anonyme.
Pour tenter de comprendre, il faut faire un bond dans le temps et revenir un mois plus tôt, au 8 décembre, rue du Faubourg-Saint-Honoré à Paris. Ce jour-là, les projecteurs sont braqués sur la vente aux enchères qu’organise la maison Piasa : plus de 200 lots consacrés à la poésie française du XIXe siècle. Le manuscrit de « L’Éternité », un des poèmes les plus connus d’Arthur Rimbaud, dont le manuscrit a disparu depuis plus d’un siècle, est le clou du spectacle. Mis à prix à 150 000 euros, estimé entre 200 000 et 300 000, ce lot 138 décolle et quitte la Terre : 702 000 euros (*) ! Un « record mondial, toute littérature confondue, pour un poème d’une page seulement », selon les commissaires-priseurs.
Charleville-Mézières compte déjà de précieux manuscrits de Rimbaud, en particulier les chefs-d’œuvre « A la musique » et « Voyelles ». Au total, Boris Ravignon cite sept manuscrits, ainsi que des lettres et des dessins. Il n’empêche, les trois nouveaux documents du donateur, plus celui acheté par la Ville, vont sacrément enrichir la collection du musée Rimbaud, lequel n’a pas toujours eu de veine aux enchères.
Le sort ayant voulu que le poète le plus cher au monde soit originaire d’une ville loin d’être richissime, Charleville a parfois été frustrée : en 2020, elle passait à côté d’une lettre illustrée par un dessin montrant Rimbaud et Verlaine, partie à 200 000 euros, deux fois la somme que la Ville était prête à payer. Quatre ans plus tôt, le fameux pistolet avec lequel Verlaine aurait tiré sur Rimbaud à Bruxelles, estimé à 70 000 euros, s’envolait à… 360 000 euros ! Hors de portée, le pistolet échappait à la Ville.
Celle-ci a cependant eu plus de succès lors de certaines ventes. En octobre 2016, elle s’est vu adjuger, pour 51 000 euros, déjà chez Piasa, un article de 1888 de Paul Verlaine, annoté par lui-même et consacré à Rimbaud. Dans un texte supplémentaire d’une vingtaine de lignes manuscrites, Paul Verlaine y évoque son admiration pour le poète ardennais.
En 2021, Charleville a aussi réussi à acheter, pour 19 300 euros, un portrait de Rimbaud par le peintre cubiste Fernand Léger, réalisé en 1948. Puis en 2022, elle a pu acheter un dessin représentant le poète, de la main de sa sœur Isabelle, moyennant 180 000 euros, grâce à un appel aux dons et à 80 % de subventions de l’État et la Région.
Mais ce qui nous préoccupe se passe juste après, avec les lots 139 à 143. Alors que la Ville a renoncé à « L’Éternité » (malgré de nombreux échanges, jusque dans la dernière ligne droite, avec le ministère de la Culture, pour tenter de l’acquérir), elle a jeté son dévolu sur le lot 140, une des trois lettres de Rimbaud mises en vente. Dans ce courrier de deux pages adressé à sa mère, Vitalie, en février 1891, depuis Harare, le poète évoque les débuts de sa maladie, ses « douleurs dans cette maudite jambe »… La Ville rafle la mise pour 78 000 euros, dont 50 % payés par l’État et la Fondation du patrimoine et 20 % par la Région.
La lettre la plus prisée, et aussi la plus coûteuse, vient juste après. Le poète est désormais dans un lit d’hôpital, à la Conception à Marseille, une jambe en moins, lorsque le 23 juin 1891 il écrit à sa sœur Isabelle. Sur une page, il dit sa souffrance et sa solitude. « Je ne fais que pleurer jour et nuit, je suis un homme mort, je suis estropié pour toute ma vie (…). Enfin notre vie est une misère, une misère sans fin ! Pourquoi donc existons-nous ? »
Cette lettre déchirante, estimée entre 60 et 80 000 euros, part à trois fois ce prix-là : 179 400 euros, soit le quatrième lot le plus cher de la vente. Et c’est le fameux donateur anonyme qui, participant à distance, signe le chèque et vient d’en faire don à la Ville.
Ce n’est pas tout. Dans le paquet, il a glissé deux autres surprises. D’abord le lot 139 (59 800 euros), une autre lettre d’Arthur, adressée à sa mère et à sa sœur, écrite à Aden le 15 janvier 1883. « Il ne pleut jamais. Voici un an que je couche continuellement à ciel ouvert. Pour moi j’aime beaucoup ce climat, et j’ai toujours horreur de la pluie, de la boue et du froid », écrit-il à sa famille, qui traverse l’hiver à Roche, au cœur des Ardennes.
Le dernier lot acheté (143), moyennant 39 000 euros, puis offert, est une curiosité en soi : un poème d’Arthur Rimbaud, « Ce qui retient Nina ! », remontant à 1870, avec cette particularité qu’il est recopié à la main et même signé « Arthur Rimbaud » par… Paul Verlaine, qui imite la signature de Rimbaud ! Ce poème de cinq pages écrites à l’encre noire est joint à une édition originale du recueil Reliquaire, datée de 1891. Pour l’anecdote, rappelle la maison Piasa, le livre avait été mis en vente à Paris le 10 novembre de cette année-là, le jour de la mort du poète…
Que va-t-il se passer désormais ? Les manuscrits, que Boris Ravignon n’a évidemment pas présentés au public pour ne pas les endommager, seraient déjà arrivés à Charleville. Ils devraient être présentés en février, sans doute au musée Rimbaud. En présence du donateur ? Nul ne le sait.
Les montants indiqués dans cet article incluent tous les frais et sont communiqués par la maison Piasa (de même que les précisions sur les lots vendus).