Des enfants jouent devant l'Ecole. Ce doit être l'heure de la récréation. Le cachet de la Poste est celui de Toutencourt. 18 Septembre 1920. La carte postale a été écrite le 16 Septembre. Date notée discrètement, en bas, à gauche de la partie "Correspondance". "Meilleur souvenir de la maman d'un petit Picard", a écrit la personne qui signe G. Jacquet. Geneviève. Guilaine. Ghislaine. On ne sait pas. On ne saura pas. La carte est adressée à un couple qui habite Paris, rue Damrémont.
Quatre "Semeuse", timbre vert de 5 centimes, ont été très soigneusement collées dans le haut de la carte, juste sous les mots de la légende : Contay (Somme) - La Mairie - The Town-Hall. Traduction en anglais qui se justifie sans doute par la création récente du cimetière militaire britannique. Pour tous ces jeunes soldats morts pendant première la guerre mondiale. 1133 stèles blanches face à ce monument qui dit : Their name liveth for evermore. Leur nom vit pour toujours.
Autre information que seul un philatéliste averti remarquera : la Semeuse, la Semeuse de Roty, sème contre le vent. Le mouvement de sa superbe chevelure la trahit. Cérès, la déesse romaine des moissons et de l'agriculture, a été choisie pour symboliser la République sur le premier timbre-poste français. La France est alors rurale et agricole. La Semeuse, créée par Oscar Roty, est en parfaite harmonie avec le pays. Timbres et pièces de monnaies sont à l'unisson. Pas la presse de l'époque. Certains journaux se déchaînent, comme Le Moniteur du 28 février 1897 :
"Que sème-t-elle, cette femme dont le bonnet phrygien dit assez la qualité ? Elle sème le désordre, l'anarchie, l'ivraie, la haine de mensonge et d'immoralité." Ce à quoi La Liberté du 8 octobre 1898 répondra : "Ces semences qu'elle jette généreusement à la terre sont les innombrables idées qui peut-être un jour germeront et lèveront, lorsque nous n'y serons plus."
Geste plus symbolique que réaliste : on ne sème pas contre le vent, mais les idées neuves naissent à contre-courant. Souvent.
© Jean-Louis Crimon