L'Association Culturelle des Bouquinistes de Paris regroupe plus d'un bouquiniste sur trois. Ce qui est plutôt bien. Le bouquiniste, de comportement comme de tempérament, est un être très indépendant. Vraiment jaloux de sa liberté. S'associer n'est pas dans les us et coutumes de la profession. Certains racontent qu'autrefois, il y avait bien un syndicat, le syndicat des bouquinistes, mais qu'il y a belle lurette qu'il n'existe plus.
J'ai décidé d'adhérer à l'Association dès mon arrivée Quai de la Tournelle. Cela me semblait le meilleur moyen d'être accepté dans cette confrérie que tous me décrivaient comme très fermée, avec ses réseaux, ses combines et ses dynasties. Avec une organisation, assez récente, reposant en grande partie sur des délégués de quai, chefs de quai comme il n'y a plus de chefs de gare, chargés de signaler à la Mairie les absences, les retards, les boîtes fermées, les jours d'ouvertures, la régularité ou le sérieux du bouquiniste débutant. "T'as ton cahier de présence", m'a lancé, un jour d'hiver, mi-sérieux, mi-provocateur, mon délégué de quai. Avec cet air suffisant du contremaître qui prend son ouvrier en infraction. Moi qui pensais que bouquiniste était le dernier métier de liberté non encadrée, dans cette société d'encadrement permanent, le dernier métier d'homme libre, - "Homme libre, toujours tu chériras la Seine" - j'ai dû déchanter. Délégués de quais plus ou moins autoproclamés. En tout cas "pas élus par leurs pairs" comme le font remarquer, dans un sourire qui en dit long, certains rebelles à l'ordre policé, pour ne pas dire policier, du chef de quai. Bouquiniste, as-tu composté ton billet ? sans doute bientôt d'actualité. Sur ces quais d'embarquement où l'on n'embarque plus qu'en rêve. Pour des traversées de longues après-midi solitaires. Quand le passant se fait rare. Quand le bibliophile se défile. Quand le temps qui passe lui aussi, s'évertue à jouer l'immobile ou le suspendu. Quand la Seine fait sa grise alors qu'elle est si jolie dans la lumière dorée du soleil du soir.
La dernière réunion de l'Association m'a beaucoup plu. L'ordre du jour: réfléchir à la création d'une fête des bouquinistes. Manière de célébrer un métier, une tradition, et au fond un vrai rôle social. Bouquiniste sur les quais, ce n'est pas seulement vendre des livres, des gravures, des photographies anciennes ou des aquarelles, c'est d'abord et avant tout du lien social. C'est le commerce des mots avant le commerce des livres. Ce sont des regards, des sourires échangés, des conversations parfois. C'est de l'humanité qui passe dans cette époque où l'humain vraiment humain est une espèce en voie de disparition. Une présence humaine, à la fois discrète et immanquable. Essentielle au paysage urbain des quais de Seine. Une présence si forte et si banale que c'est son absence qui souligne le manque. Une présence vitale.
Très vite, accord d'une majorité des présents pour organiser, une ou plusieurs fois par an, un "Livre-Grenier". Sur un week-end ou sur un seul jour. Plutôt le dimanche, ou sur deux dimanches. De septembre ou d'octobre. Ou sur quatre dimanches de tout un mois, le "mois des bouquinistes". Toutes les propositions se télescopent. Sur une période qui irait du 15 septembre au 15 octobre et donc sur quatre dimanches. Quatre dimanches où les résidents-riverains, dans un premier temps, auraient la possibilité de partager avec les bouquinistes professionnels le droit et le bonheur de vendre des livres d'occasion et tout ce qui se rapporte à l'écriture, imprimée ou manuscrite. Le bonheur de partager les espaces libres des parapets des bords de Seine, rive gauche et rive droite. Soyons simples: ce sera "un dimanche rive droite" et "un dimanche rive gauche". Fin septembre et début octobre.
Reste à trouver un titre, un beau titre, un titre accrocheur. Un titre qui pourrait nous valoir de bons "retours/presse" dans ce qui doit être aussi une bonne campagne de communication. Amusante et efficace. L'an dernier déjà, au cours de l'Assemblée Générale de l'Association Culturelle des Bouquinistes de Paris, j'avais proposé à ceux qui critiquaient "PARIS PLAGES" (ils "perdaient des clients potentiels" !) de créer tout simplement dans les pas de "PARIS PLAGES" ... "PARIS PAGES". Le titre a fait sourire et l'idée est restée en carafe. L'idée est tombée à l'eau ! Dommage, vraiment. Car je persiste à penser, aujourd'hui encore, que ce serait bien d'inscrire nos pas, les pas des propriètaires des boîtes vertes, dans la foulée de ceux qui, avant d'aller faire bronzette sur le sable, feraient d'amples emplettes chez les bouquinistes. "On bronze mieux un livre à la main" aurait pu être un bon slogan de campagne. Pas trop directif et suffisamment incitatif. Mais mon "PARIS PAGES" n'a recueilli, comme on dit, qu'un succès d'estime. Cette année encore, le Crimon s'escrime pour ne pas laisser les plagistes aux seules saveurs de l'ice-cream. Le Crimon, c'est l'indifférence qui le... glace.
© Jean-Louis Crimon
Paris Pages. (2 Mai 2011).