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19 juin 2023 1 19 /06 /juin /2023 08:57
 Chengdu. Chenglong. Nouveau Campus. Dernier cours. Janvier 2012. © Jean-Louis Crimon

Chengdu. Chenglong. Nouveau Campus. Dernier cours. Janvier 2012. © Jean-Louis Crimon

 

 

C'est janvier 2012. Chenglong, nouveau campus de Chengdu. Etudiants de troisième et quatrième année. Dernier cours. Je ne veux pas les quitter d'une façon banale. D'une manière trop classique, style : Je vous salue. Je vous tire ma révérence. C'était mon dernier cours. Bonne chance dans vos études. Bonne route dans la vie ! Je veux leur faire une surprise. Leur offrir un cadeau. Je veux les surprendre. Les étonner vraiment. La règle était qu'en cours nous ne parlions que français. Pas de mandarin. Pas de sichuanais. Pas d'anglais. Cette fois, je tiens à déroger à la règle, je veux parler chinois. Cette fois, - la seule sans aucun doute - Laoshi s'exprimera en chinois.

Je m'étais entraîné. Dans le plus grand secret. En décembre, à plusieurs reprises, prétextant quelques cours particuliers, Shuang, mon étudiante de 1ère année, m'avait fait travailler un poème. Mon poème. Un texte très court. Un poème de Li Baï. Li Baï, 701-762. Li Baï, poète du huitième siècle. Je m'étais inventé une phonétique rudimentaire, mais assez efficace. Shuang ne trouvait pas ça très académique. Moi, je trouvais ça très bien. J'avais appris mon Li Baï par coeur. Le résultat était étonnant. Je l'avais même testé, un soir, dans un restaurant, en ville. Un soir où je dînais seul. Un vrai triomphe. En salle, comme en cuisine, on avait goûté le moment. C'était concluant.

A la prononciation, Shuang me l'assurait, ça rendait très bien. J'avais juste à bien rythmer le texte. A surtout prendre le temps de respirer les mots. Les vers. A penser à ce que je disais. Même si je ne comprenais pas vraiment le mot à mot de mon texte. Fallait juste bien ressentir l'âme de Li Baï. Bien exprimer l'esprit du poème. 

 

T'chuan t'siène ming yuhé gouan'

I sheu di shan' shuang,

D'ju' tao wan' ming yuhé,

Di tao sseu kou shiang.

 

C'était début janvier. Début janvier de cette année 2012. C'est juin désormais. Juin 2023. Janvier 2012 englouti à tout jamais dans le fleuve du temps. Pourquoi je repense à Li Baï ? A mes étudiants Chinois de Chenglong ? Janvier 2012, je sais, ça fait un bail. Un bail que nous nous sommes dit bye-bye. Pourquoi ce flash-back soudain ? Peut-être parce que je n'ai pas de nouvelles d'eux. Je n'en ai pas donné non plus. Li Baï, le poète que tous les enfants découvrent dès l'école primaire. Au-delà des siècles, Li Baï, mon frère. De mémoire, je refais la traduction. Sans être bien sûr du mot à mot du rythme des vers:    

 

Lumière blafarde près de mon lit,

Le plancher a couleur de gelée blanche, 

Je lève la tête, contemple la lune,

Je baisse la tête, pense à mon village natal

 

C'était beau de les voir, mes étudiants, recevoir mes mots chinois. Ce n'était pas parfait. Mais leurs sourires, leurs rires et leurs applaudissements, c'était beau à voir. Si beau à voir. Beau à vivre. Tellement beau à vivre. De cet instant-là, de cet instant si beau à vivre, j'ai eu, dans l'instant, l'envie d'en faire un livre. Un roman. Un roman dont le titre aurait pu être... Du côté de chez Shuang.

 

 

© Jean-Louis Crimon

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