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5 octobre 2022 3 05 /10 /octobre /2022 08:57
Contay. Ma maison de 1950 à 1964. © Jean-Louis Crimon

Contay. Ma maison de 1950 à 1964. © Jean-Louis Crimon

Le mot "harcèlement" n'existe pas encore. Dès que je sors de la petite maison blanche aux murs en torchis pour traverser la rue de Franvillers et aller à l'école, les mots-coups de poing me pleuvent dessus. "Gougnou, Gougnou, Gougnou..." Je ne bronche pas et je m'aligne dans la file en baissant la tête. Que faire d'autre ? C'est d'une cruauté rare et d'une bétise crasse. Une torture quotidienne. A peine si les adultes prennent ma défense. Je ravale mes larmes, je cache ma peine, je planque ma haine, j'endure de semaine en semaine.

Plus tard, beaucoup plus tard, je découvrirai la définition du mot "harcèlement" : violence verbale, physique ou psychologique. Cette violence commence au sein de l'école. Elle est le fait d'un ou de plusieurs élèves qui se choisissent une victime qui ne peut se défendre.

Toutes ces moqueries, ces insultes, ces humiliations, il me faudra les subir jusqu'à mes 20 ans, mes parents, ma mère surtout, excluant toute opération. "Si ça rate, ce sera pire qu'avant !" Ajoutant comme pour bien établir la pertinence de sa décision : Avec des verres fumés, ça atténue bien. C'est suffisant. Un jour, je me lève et je dis : maintenant, ça suffit, trop souffert, trop pleuré, je vais me faire opérer.

Heureusement, la seule qui me comprend, tout au long de ces vingt ans de malheur, c'est ma maison. A 7 ans déjà, je l'aimais notre maison, tendrement. Il n'y avait pas l'eau courante. Pas l'eau chaude. Seulement une pompe dans la cour. Un vieux poêle à charbon. Des murs en torchis et un grenier en terre battue. Un couloir étroit passé la porte d'entrée. La quitter, la quitter pour toujours, et quitter la vallée de l'Hallue pour une autre vallée, la vallée de l'Ancre, fut un véritable arrachement. Une déchirure. Mais je n'ai rien laissé paraître. Rien montré. Rien montré à mon père, rien montré à ma mère, rien montré à ma soeur et rien montré à mon petit frère. Me suis seulement juré, l'année de mes 14 ans, l'année du déménagement, qu'un jour, elle serait à moi pour toujours. Qu'un jour, j'écrirai. Un roman. Un vrai livre. Pour elle. Avec elle. J'écrirai pour que ma maison soit éternellement mienne. Que mon amour pour elle accéde à l'éternité. Qu'elle soit éternelle. De cette belle éternité éphémère des romans. Qui vivent à peine plus longtemps que les hommes qui leur donnent vie.

 

© Jean-Louis Crimon

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