Le mot "harcèlement" n'existe pas encore. Dès que je sors de la petite maison blanche aux murs en torchis, les mots-coups de poing me pleuvent dessus. "Gougnou, Gougnou, Gougnou..." Je ne bronche pas et je m'aligne dans la file en baissant la tête. Que faire d'autre ? C'est d'une cruauté rare et d'une bétise crasse. Franchement dégueulasse. Une torture quotidienne. A peine si les adultes prennent ma défense. Je ravale mes larmes, je cache ma haine, j'endure de semaine en semaine.
Plus tard, beaucoup plus tard, je découvrirai la définition du mot "harcèlement" : violence verbale, physique ou psychologique. Cette violence commence au sein de l'école. Elle est le fait d'un ou de plusieurs élèves qui se choisissent une victime qui ne peut se défendre.
Toutes ces moqueries, ces insultes, ces humiliations, il me faudra les subir jusqu'à mes 20 ans, mes parents, ma mère surtout, excluant toute opération. "Si ça rate, ce sera pire qu'avant !" Ajoutant à chaque fois, pour que ce soit bien clair : "Avec des verres fumés, ça atténue bien. C'est suffisant." Un jour j'ai pris les choses en mains, pris un rendez-vous chez l'ophtalmologiste. L'homme a compris ma détermination. Il a dit banco pour l'opération. Une autre vie allait être possible pour moi.
© Jean-Louis Crimon