J'ai 7 ans et je l'aime ma maison, tendrement. Elle n'a pas l'eau courante. Pas l'eau chaude. Juste une vieille pompe dans la cour. Qu'il faut pailler l'hiver pour ne pas qu'elle gèle. Des murs en torchis et un grenier en terre battue. Un couloir étroit passé la porte d'entrée. La quitter à 14 ans, la quitter pour toujours, et quitter la vallée de l'Hallue pour une autre vallée, la vallée de l'Ancre, fut un véritable arrachement. Une déchirure. Mais je n'ai rien laissé paraître. Rien montré. Rien montré à mon père, rien montré à ma mère, rien montré à ma soeur et rien montré à mon petit frère. Me suis seulement juré, l'année de mes 14 ans, l'année du déménagement, qu'un jour, elle serait à moi pour toujours. Qu'un jour, je l'achéterai ou bien alors j'écrirai. Un roman. Un vrai livre. Pour elle. Avec elle. J'écrirai pour que ma maison soit éternellement mienne. Que mon amour pour elle accéde à l'éternité. Qu'il soit éternel. De cette belle éternité éphémère des romans. Qui vivent à peine plus longtemps que les hommes qui les écrivent. Mais qui sont éternels à chaque fois qu'une lectrice ou qu'un lecteur leur donne à nouveau vie. En les ouvrant et en les lisant. Résurrection permanente des mots écrits. A chaque fois que quelqu'un les lit. A chaque fois qu'un humain prend le livre dans ses mains, l'ouvre, et commence sa lecture. Je ne connais pas de plus belle existence. Je ne connais pas de plus belle aventure. L'aventure de la lecture et de l'écriture. Un un mot, l'aventure de la littérature.
© Jean-Louis Crimon