J'aurais tant aimé, mon grand-père inconnu,
te parler de mon enfance à moi,
enfance souvent cruelle,
trop pleine de moqueries et d’insultes
à cause de mes yeux
mes yeux de travers.
Strabisme.
Mot horrible que je déteste.
Je t’aurais raconté le football quand on dribble les arbres du verger
ou bien quand on joue avec eux en frappant la balle sur l’écorce,
comme au billard.
Le verger que ma mère appelle la pâture,
c’est notre terrain,
notre Parc des Princes,
notre Stade Auguste-Delaune.
Nous y pénétrons en petites foulées,
mon père et moi,
après les travaux du soir au jardin.
Short blanc et maillot rouge et blanc.
Chaussettes rouges à parements blancs.
Chaussures à petits crampons en cuir.
Deux petites mi-temps de dix minutes chacune.
Quelle que soit la saison.
Même l’hiver, quand le terrain est tout blanc.
« Sont fous avec leur foot, vont attraper mal ! »,
peste Juliette, ta fille, ma mère,
que ça met en colère.
Surtout les soirs glacés, quand c’est la neige qui éclaire le terrain,
car le verger n’est pas équipé pour les matchs en nocturne.
J’aurais aimé que tu m'expliques
les chants polyphoniques
des bergers Sardes,
que tu me dises
comment le choeur des hommes reprend la première phrase
du premier chanteur,
celui qui improvise,
et pourquoi parfois ils ont la main droite sur l’oreille quand ils chantent a cappella.
Simple mélodie reprise par tous, a cuncordu,
improvisation poétique chantée,
chant de travail,
chant de fête,
berceuse ou chant funèbre,
compétitions poétiques de plein air, dans les villages.
Tu devais être un bon chanteur.
© Jean-Louis Crimon