Mon cher grand-père que je n’ai pas connu
Je t’écris cette lettre que tu ne recevras pas
A moins que je ne te la porte moi-même
au pays de l’envers du décor,
là où les vivants apprennent à être des morts,
Au pays de l’au-delà des nuages
pour nous qui, en bas,
croyons,
éperdument,
que ces choses-là se passent au ciel.
Peu importe
Où que tu sois,
J’en fais le serment,
Je me dois d’aller jusqu’à toi.
Je dois te dire que ça a pris du temps
pour retrouver ta trace
Tu ne nous as pas facilité la tâche
Une date, un lieu de naissance.
Un nom de village.
Pas davantage.
Pas de date de mort.
Pas de tombe.
Pas de cimetière.
Pas de cimetière connu
pour le grand-père inconnu.
Au Sud du Sud, une île italienne, la Sardaigne,
qu’à cela ne daigne,
la Corse est bien une île française.
Un village de montagne.
Une année : 1896.
Un jour et un mois de naissance : 8 mars.
J’ai tenu à refaire le chemin qui a dû être le tien
Je suis venu mettre mes pas dans tes pas.
Point de départ : le village.
Ton village.
Fluminimaggiore.
Littéralement, Flumini majeur.
Fluminimaggiore, 9 kilomètres à l’Est de Buggerru,
là où il y a la mine.
Une mine riche en minerai de plomb et de zinc.
Destin tout tracé des enfants de pauvres.
Du Flumini majeur partaient, à pied, des bataillons de mineurs.
Dans les deux sens du terme.
Pas d’autre chemin pour une existence humaine de ce temps-là.
Pas de mode majeur.
Même en étant né à Fluminimaggiore. Condamné, dès l’enfance, à vivre en mode mineur.
De ta famille, tu ne nous as pas dit grand chose.
Ta vie trop brève, ne t’en a pas laissé le temps.
Ton passage terrestre t’a juste laissé le temps de laisser deux enfants.
Deux filles. Une Sarde. Une Française. Une Sarde laissée en Sardaigne avec sa mère Sarde.
Une Française, Juliette, ma mère, que tu abandonnas le jour de sa naissance.
Pour cause de définitive absence.
Mort le jour-même de sa naissance.
Mort le jour où ta fille française est née.
Selon la mère de ma mère,
ma grand-mère maternelle, Berthe Leloup.
C’est ma mère qui me l’a dit.
C’est ma mère qui m’a dit que c’était
ce que sa mère lui avait dit.
Une fois pour toutes.
Pour ne plus avoir à en parler.
Pour qu’elle se fasse à l’idée.
A l’idée de ne jamais voir son père.
De ne jamais pouvoir le voir.
Le rencontrer.
Le connaître.
De ne jamais pouvoir porter son nom
ce beau nom de Zanda.
Ma mère ne sera jamais Juliette Zanda.
Ne sera jamais Zanda.
Ne s’appellera jamais Zanda de son vivant.
Seulement à sa mort.
Ayant elle-même pris soin
de faire graver,
de son vivant,
sur sa tombe,
le nom de Zanda.
© Jean-Louis Crimon