Pékin. Cité Impériale. 14 Sept. 2014. © Jean-Louis Crimon
Au propre comme au figuré, Shuang est "double". Nom commun, le mot signifie "paire" ou "couple". Prénom, Shuang peut être attribué aux filles comme aux garçons. Plus rarement aux garçons. C'est un prénom mixte.
Dans sa très belle étude critique, Denis Lectez met l'accent sur la richesse d'un roman qui fait l'éloge de la langue.
" Du côté de chez Shuang est aussi une histoire d'amour des mots. Les figures de style des deux premières pages donnent au roman une tonalité musicale soutenue par l'emploi de phrases courtes où le verbe se fait rare. Page 10, on relève l'emploi pléthorique du mot "amour(s)" qui revient 27 fois. " Charme, - chère arme", écrit Michel Leiris. La polysémie du mot charme engendre une métaphore érotique qui met le Laoshi dans l'embarras. Shuang n'est pas dupe, qui déclare : "Je suis neuve, Laoshi, mais pas naïve". Un peu plus tard, le faguo Laoshi fera rougir une amie de Shuang quand il expliquera métaphoriquement le phénomène de l'arc-en-ciel. Le jeu des nuages et de la pluie : ou l'art d'aimer en Chine."
Il faut préciser ici que, dans le roman, c'est une amie de Shuang qui porte pour prénom "Arc-en-ciel " qui est source de la métaphore. Pages 21 et 22 :
" C'est une amie de Shuang, dont le prénom signifie Arc-en-ciel, qui, la première, a remarqué que je venais chaque soir m'asseoir au pied de la statue du Maître. Arc-en-ciel qui passa par toutes les couleurs de la chose quand, voulant faire le malin, à l'énoncé de son prénom, je déclarais, solennellement, devant toute la classe médusée, connaître le prénom de ses parents. (...) Je sais comment se prénomme ta maman et je sais comment se prénomme ton papa. Ta mère s'appelle "Pluie" et ton père s'appelle "Soleil". Ils se sont renontrés. Ils se sont plu. Ils se sont aimés. Ils ont fait l'amour. Ils ont donné naissance à ce bel Arc-en-ciel que tu es."
Dans son Essai critique, Denis Lectez note aussi que, pages 55 à 58, puis pages 113 à 114, le mot "amours(s)" revient 25 fois, signe que l'auteur prend un plaisir fou à analyser le sentiment amoureux qui court tout au long du roman comme un leitmotiv. A l'appui, Lectez en réfère aux "Fragments d'un discours amoureux". et à Roland Barthes. "Dès que je produis en moi une phrase "réussie" (dans laquelle je crois découvrir l'expression juste d'une vérité), cette phrase devient une formule que je répète à proportion de l'apaisement qu'elle me donne (trouver le bon mot est euphorique); je la remâche, je m'en nourris."
Preuve que si Shuang est double, la lecture de Du côté de chez Shuang est multiple. L'auteur le voulait. Ardemment. Dès les premiers mots du roman.
© Jean-Louis Crimon