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2 mai 2022 1 02 /05 /mai /2022 08:57
Amiens. Le Courrier Picard. 19 Juillet 1988. Match Forains-Journalistes. © DR.

Amiens. Le Courrier Picard. 19 Juillet 1988. Match Forains-Journalistes. © DR.

 

"Ma mère aimait les mots. Mon père aimait les matches. Je décidai de gagner le match avec les mots." Le projet de "Verlaine avant-centre", mon premier roman, tient tout entier dans ces trois petites phrases qui peuvent n'en faire qu'une si je renonce, sciemment, à cette nécessité qu'elles soient trois. Trinité familiale fictive dans laquelle le narrateur doit trouver son unité en même temps qu'un sens à une vie qui, peut-être, n'en a pas. Au moment de la dernière relecture des épreuves, l'Editeur a demandé à l'Auteur de "ponctuer avec des virgules" les trois petites phrases. Pour une question de respiration. L'Auteur s'est plié au souhait de l'Editeur. Dans le roman, les trois petites phrases n'en forment plus qu'une. Dans l'esprit de l'Auteur, même avec la respiration différente des virgules, elles sont toujours trois. Trois propositions indépendantes et pourtant à tout jamais liées.

L'évidence du lien entre les mots, les matches, et la nécessité de gagner un jour le match avec les mots ne m'est apparue que très tardivement, à l'âge adulte, et de façon progressive. La prise de conscience de la richesse d'une enfance pauvre ne peut se faire qu'après avoir rompu avec cette enfance-là. La conscience est souvent diffuse, la prise de conscience parfois brutale. Immédiate. Dans mon cas, elle est tardive. Tardive et progressive. La découverte de la lumière particulière de cette enfance pauvre, semblable à beaucoup d'autres enfances pauvres, ne s'est pas faite en une fois. Cela pour la mise en place des aspects "vécus" d'un roman que beaucoup aimeraient enfermer dans une démarche strictement autobiographique.

 

Ne voir dans "Verlaine avant-centre" que le mot-à-mot fidèle d'une enfance parfois cruelle, comme si le roman, aux allures de récit, devait être considéré, non pas comme une oeuvre de fiction, mais plutôt comme la simple transcription d'une existence aux accents romanesques, est une douce et rassurante tentation. Réduire le roman à la seule catégorie du récit d'enfance, un récit extraordinaire d'une enfance extraordinaire, c'est méconnaître d'emblée le travail de création, de déconstruction et de reconstruction du romancier, même s'il travaille sur des sentiments ou des sensations qu'il connaît bien, puisque les ayant, sans doute, lui-même, en partie, éprouvés, enfant. Mais, première erreur du lecteur pressé ou de la lectrice avide: prendre au premier degré, et pour argent comptant, ce que l'écrivain raconte, c'est à dire invente. Deux questions pour bien cerner le problème et l'enjeu. Doit-on aussi rapidement accepter de réduire l'enfance du narrateur à l'enfance de l'écrivain ? Qu'est-ce qui nous permet d'affirmer que ces deux enfances ne sont qu'une seule et même enfance ?

Sur des cahiers de brouillon qu'il baptise "Mes je n'oublierai jamais", le narrateur de "Verlaine Avant-Centre" consigne des mots, des paroles, des phrases, des idées, des odeurs, des sensations, des sentiments, des bruits, des sons ou des chansons. Cela, c'est le narrateur qui le fait ou qui dit qu'il le fait. C'est l'Auteur qui le lui fait dire ou qui le lui fait faire. Mais qu'est-ce qui peut faire penser ou faire croire que cela, l'Auteur l'a vraiment fait ? Que l'Auteur, enfant, a réellement, dans son enfance réelle, tenu ce genre de cahiers de brouillon de "phrases définitives" ? Rien. Il faut bien le constater et s'y résoudre: sous l'apparence d'un récit d'enfance, Verlaine Avant-Centre n'est qu'un roman, une oeuvre de fiction, une invention. Tout est faux et pourtant tout semble vrai.

 

Au risque de faire sourire, il arrive souvent à l'Auteur de "Verlaine avant-centre", que je connais bien, et avec qui, je l'avoue, je m'entretiens de temps en temps, de devoir répondre à l'issue d'une séance de signature ou d'une rencontre-débat avec des lecteurs, souvent des lectrices d'ailleurs, à ce genre de questions très touchantes parce que très intimes:

 

- Vos cahiers de brouillon, vous les avez gardés ?

- Non ! ils n'ont jamais existé. Ils n'existent que dans l'imagination de l'auteur du roman.

 

La déception est souvent à la hauteur de l'espérance placée dans la question. L'Auteur s'en veut de ne pas savoir mentir. De ne pas broder la métaphore du magicien. Un magicien n'est pas tenu de dévoiler ses secrets. Un écrivain est à sa façon un magicien. D'autant que les autres commentaires sont plus terribles encore :

 

- Vous avez bien de la chance d'avoir une Tante qui a connu Verlaine !

- Mais ce n'est pas vrai, Madame, c'est seulement vrai dans le roman. C'est une invention du narrateur qui croit, dur comme fer, que la Laure de la dédicace du Sonnet de "Jadis et Naguère", c'est sa Laure à lui, alors qu'il s'agit de la Laure de... Pétrarque ! Laure de Noves

 

- Alors, je regrette de vous avoir lu, Monsieur, et d'avoir tant aimé votre livre. Vous n'êtes pas un écrivain, vous êtes un... menteur !

 

La lectrice furieuse tourne alors brusquement les talons, laissant l'Auteur désemparé. L'Auteur se jurant, mais un peu tard, de ne plus jamais jouer au jeu de la vérité. 

 

© Jean-Louis Crimon

 

Verlaine avant-centre. Le Castor Astral. Janvier 2001.

 

 

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