Grand-père Zanda, j'aurais aimé te raconter le jour de ma communion solennelle et le mauvais tour joué par grand-père Maillet. Oui, grand-père Crimon était déjà mort. Mort très jeune aussi. Du gaz moutarde de la première guerre mondiale. Gaz utilisé pour la première fois en Belgique, près d'Ypres, d'où son surnom de gaz Ypérite. Terreur des champs de bataille. Même si, ont noté les historiens, ces gaz de combat n'ont été responsables que d'un petit nombre de morts. Tout est relatif : 90.000 sur les 10 millions de soldats tués dans la grande boucherie de 14-18.
Grand-père Edouard Maillet avait donc épousé grand-mère Edith, jeune veuve avec déjà deux enfants, Maurice, l'ainé, et Georges, le cadet, Georges qui sera mon père. Le jour de la communion solennelle, au beau milieu de l'après-midi, au moment où nous venions de regagner le choeur de la petite église Saint-Martin, grand-père Edouard, jusque là irréprochable, ne se sentit soudain pas très à l'aise dans ses habits d'ouvrier. Pour la première fois de sa vie, la seule sans doute, Edouard eut honte de ne pas avoir d'habits du dimanche et de ne pas être comme les autres hommes en impeccable costume croisé. Grand-mère Edith eut beau lui labourer les côtes à grands coups de coude, rien n'y fit : Edouard était têtu, il ne bougea pas de son banc.
Ce qui devait arriver arriva. Je suis le seul petit séminariste à me présenter devant Monseigneur l'Evêque sans parrain de confirmation. Scandaleuse entorse au rituel sacré. Je suis le mouton noir au milieu du troupeau d'aubes blanches. Je tremble de tout mon être, de toute mon âme sans doute, si Dieu existe vraiment.
Sur la photo, c'est un parrain d'emprunt, le parrain de l'enfant qui me suivait dans la longue file des communiants. L'Evêque a eu la présence d'esprit, pour me sauver la mise, de lui demander de poser sa main sur mon épaule. Ce qui n'enlève rien à la cruauté de l'instant à vivre, mais ce qui fait, sur le champ, une bonne photo.
© Jean-Louis Crimon