C'est l'histoire d'un être humain qui a pris dans sa vie des milliers de photographies. Des dizaines de milliers de photos. Sa quête, il l'a commencée très tôt. Dès sa première année de philo. Tout début des années 70. Mais dans sa tête, c'est dans l'enfance que tout commence. Personne jamais ne voudra le croire : il est cet être rare qui a fait de la photo sans appareil photo. Simplement avec les yeux. Les yeux du coeur. Enfant, il écrit avec des mots les photos qu'il ne peut pas prendre. Il s'invente des poèmes qu'il appelle "photo-poème". Il n'a jamais oublié son premier "photo-poème" :
Le vieil homme marchait
Balançant le bras,
Horloge humaine
Rythmant le temps des choses."
Depuis ses 7 ou 8 ans, il le sait, il le sent, le temps sera le seul problème important. C'est déroutant et superbe pourtant. Il en faudra du temps. Du temps pour comprendre ce que veut dire "Ceux qui tuent le temps, le temps les tue." Un jour, il a 20 ans. Bac philo en poche. L'Université est le plus beau des cadeaux. Université. Univers cité. Cadeau pour la vie entière. Ouverture sur le monde des idées et sur le Monde entier. Le temps d'apprendre. De comprendre. Tout ce temps donné, au début de la vie, pour trouver un sens à la vie. A sa vie. Philosophie et photographie sont, pour lui, intimement liées. Philosophie de l'instant, photographie de l'instant, c'est tout un. Il veut en faire son objet de recherche. Son sujet d'étude. Une superbe "Maîtrise" où il montrerait sa parfaite "maîtrise" des idées et des images. Le "Mémoire" passerait par Kierkegaard, Jankélévitch, certaines pages de Proust, de Camus, sans oublier Rimbaud, Prévert, Ponge, Francis Ponge... Des philosophes et des poètes. Mais aussi, bien sûr, des photographes... Doisneau, Cartier-Bresson, Lartigue, Le Querrec...
Il n'a jamais écrit plus de trois pages. Superbes d'ailleurs. Très joli prologue. Projet original. Ses Maîtres d'alors l'encouragent. Mais il n'a jamais rendu sa "Maîtrise", côté philo. L'a simplement cultivé et développé, côté photo. Il a, aux dires de tous, réussi très vite, comme d'instinct, à acquérir une parfaite maîtrise de l'image. L'image arrêtée. L'instant devenu "instantané". Instantané et surtout pas cliché. Cliché, ça fait cliché. Le cliché, en littérature, c'est une idée toute faite, surfaite. Métaphore éculée. Dépassée. Belle comme le jour. Succès foudroyant. Beau comme un coeur. En photo, le cliché, c'est la signature de l'agence Roger-Viollet, dans les années trente et quarante. Vieilli. Dépassé. Aujourdhui, le symbole du copyright suffit : ©.
La photo, c'est l'instant. La capture de l'instant. L'instant décisif. Morceau de temps arraché au flux destructeur du temps qui passe, et qui fait que nous, les mortels, nous passons et nous trépassons. Instant arraché au temps. Sauvé. Non pas sauvegardé. Sauvé. Transfiguré. Instant durablement inscrit dans la durée. Instant définitivement placé hors du temps. Vraie petite parcelle d'éternité. Un goût d'éternel dans un destin forcément temporel. Irrésistible attrait de l'instant. Irrésistible séduction de l'instant. L'instant décisif. Décisif et dérisoire à la fois. D'emblée -ses images en témoignent-, il avoue un faible pour "l'instant dérisoire". Contrepied parfait à "l'instant décisif". Cartier-Bresson, pardon. Prétention modeste. L'homme est modeste. De naissance comme d'essence. Modeste et ambitieux à la fois. Ambitieux, pas prétentieux.
Ses photos, c'est beaucoup d'humain, un peu d'humus, et beaucoup de tendresse. Un sourire parfois. Des larmes souvent. Des cris aussi. De joie, de détresse ou de rage. Ses photos, c'est de l'humanité qui transperce. De l'humanité qui traverse. La vie comme la rue. Une vie traversée comme on traverse une rue.
Cri + Image = Crimage. L'homme a trouvé son équation. Sous la forme d'une simple addition. Cri + Image, ça donne "Crimage". Crimages sera le titre de sa seule et unique Exposition.
© Jean-Louis Crimon