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1 février 2022 2 01 /02 /février /2022 08:27
Amiens. Quartier Saint-Leu. Juillet 1981. © Jean-Louis Crimon

Amiens. Quartier Saint-Leu. Juillet 1981. © Jean-Louis Crimon

C'est l'histoire d'un photographe qui dans sa vie, sans en faire son métier, a dû prendre des milliers de photographies. Des dizaines de milliers de photos. Sa quête, dans sa tête, il la veut conquête. Dès sa première année de philo. Dès ses premières photos. Tout début des années 70. Mais en fait, c'est dans l'enfance que tout commence. Personne, jamais, ne voudra le croire : il est cet être rare qui découvre la magie de la photographie sans appareil. Sans boîtier. Simplement avec les yeux. Les yeux de l'âme. Enfant, il cadre avec des mots les photos qu'il ne peut pas prendre. Il s'invente des poèmes qu'il appelle "photo-poème". Il n'a jamais oublié son premier photo-poème.

 

" Le vieil homme marchait

Balançant le bras

Horloge humaine

Rythmant le temps des choses."

 

Cet enfant rêveur, bien sûr, c'est moi. Depuis mes sept ou huit ans, je le sais, je le sens, le temps est le seul problème important. C'est déroutant. Il en faut du temps pourtant. Une éternité de temps. Un jour, j'ai 20 ans. Bac Philo en poche. La clé de l'Université. L'Université, le plus beau des cadeaux. Un cadeau pour la vie entière. Le droit et le temps d'apprendre. De comprendre. Tout ce temps, au début de la vie, pour trouver un sens à la vie. A sa vie. Pour moi, Philosophie et Photographie sont intimement liées. Philosophie de l'instant, Photographie de l'instant, c'est tout un. Je veux en faire mon objet de recherche. Une superbe "Maîtrise" où je montrerais ma parfaite maîtrise des idées et des images.

Le Mémoire de Maîtrise passerait par Kierkegaard, Jankélévitch, Bachelard, Bergson, certaines pages de Proust, de Camus, sans oublier Rimbaud et Verlaine, Prévert, Ponge, Francis Ponge. Des philosophes, des romanciers et des poètes... Mais aussi, bien sûr, des photographes : Doisneau, Cartier-Bresson, Lartigue, Brassaï, Le Querrec...

 

Problème : je n'ai jamais écrit plus de trois pages. Superbes d'ailleurs. Admirable prologue. Projet original. Mes Maîtres d'alors m'encouragent à relever un aussi beau défi, mais je n'ai jamais rendu ma "Maîtrise", côté philo. L'ai simplement cultivée et développée côté photo. J'ai, aux dires de tous, réussi très vite, d'instinct, à acquérir une parfaite maîtrise de l'image. L'image arrêtée. Captée. Capturée. L'instinct de l'instant. L'image devenue "Instantané". Instantané et pas cliché. Surtout pas cliché. Cliché, ça fait cliché. Le cliché, en littérature, c'est une idée toute faite, surfaite. Métaphore éculée. Dépassée. Belle comme le jour. Succès foudroyant. Beau comme un coeur. En photo, le cliché, c'est le mot qui accompagne depuis toujours la signature des photos de l'agence Roger-Viollet. Années trente et quarante d'un autre siècle. Vieilli. Dépassé. Has been. Il faut clasher le cliché. 

La photo, c'est l'instant. La capture de l'instant. La capture instantanée de l'instant. De l'instant décisif. Morceau de temps arraché au flux destructeur du temps qui passe et qui fait que nous, les mortels, nous passons. Nous passons et nous trépassons. Instant arraché au temps. Sauvé. Non pas sauvegardé. Sauvé. Transfiguré. Transfiguré en le figurant. Instant durablement inscrit dans la durée. La dure durée durable. Instant irrémédiablement placé hors du temps. Vraie petite parcelle d'éternité. Un goût d'éternel dans un destin forcément temporel.

Irrésistible attrait de l'instant. Irrésistible séduction de l'instant. L'instant décisif et dérisoire à la fois. D'emblée, chez moi, le dérisoire a pris le pas sur le décisif. L'instant dérisoire, contre-pied sublime au Maître de l'instant décisif. Pardon, Monsieur Cartier-Bresson. Je ne voulais pas trahir votre leçon. Pas vous faire de peine.

Mes photos sont simplement humaines. Tendres et humaines. Elles sont le reflet de la vie quotidienne. Un regard, un sourire parfois. Des larmes de temps en temps. Des cris aussi. Des cris de détresse ou de rage. Mes photos, je le confesse, entre tendresse et détresse, c'est de l'humain qui transperce. De l'humain qui traverse. La vie comme la rue. La vie, comme on traverse une rue.

 

Cri + Image = Crimage. L'homme photographe trouve enfin son équation. Sous la forme d'une simple formule. Une simple addition. Un cri + une image, ça donne un "Crimage". Crimage de Crimon, c'est tout bon.

 

L' équation se fait signature. Ma signature.

 

© Jean-Louis Crimon

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