Je n'irai pas jusqu'à dire que nous nous connaissons, que Depardon et Crimon se connaissent, ce serait prétentieux. C'est beaucoup plus modeste et plus flatteur. Plus fort encore qu'une rencontre entre deux êtres humains, deux photographes. Depardon a posé son regard sur mes noir et blanc, Depardon a croisé mes photos chez Picto. Picto, rue de la Roquette, à Paris. Picto, son Labo. Le mien aussi, pour une Expo. Ma première Expo.
Depardon a dit, un rien admiratif : qui est l'auteur de ces photos ?
L'anecdote m'a été rapportée par la personne qui classait mes tirages et mes négatifs. Toujours trop timide ou réservé en pareil cas, je n'ai pas cherché à en savoir davantage. Pas questionné mon informatrice, assez fière de me confier pareille confidence. Pas pourchassé l'homme célèbre qui avait posé son regard fraternel sur ma manière de construire mes images. La photo de ce laboureur guidant d'un bras ferme le soc de sa charrue au rytme des pas de son cheval, l'avait forcément ému, touché. Pour des raisons intimes que lui et moi partageons. Sans se connaître, on s'est reconnus. Enfin, Depardon a reconnu l'oeil de Crimon. L'oeil du photographe. Photographe que je n'étais pas. Que j'aurais dû être. Que j'aurais pu être si le journaliste, l'homme de radio, n'avait réduit au silence le photographe débutant. Un meurtre en douceur qui remonte aujourd'hui à plus de cinquante ans.
© Jean-Louis Crimon