C'était fin février de l'an 81. De la route, cet homme guidant d'un bras ferme le soc de la charrue, derrière son cheval, s'imposait. Coup de frein immédiat. Voiture garée sur le bas-côté. Il fallait fixer l'instant. L'arrêter pour l'éternité. L'éternité des hommes. Ephémère éternité. Le paysan, d'abord surpris de ton surgissement soudain, en pleine campagne, te déclara tout de go : "Vous êtes bienvenu, c'est mon dernier labour avec mon cheval, sa dernière année." Tu n'as pas osé parler de l'achat du tracteur. De la fin d'une époque. Tu as emboîté le pas du paysan et tu t'es dit que ta mission de ce jour-là, c'était de fixer pour toujours ces images qui semblaient déjà d'un autre temps.
© Jean-Louis Crimon
Travaillez, prenez de la peine :
C’est le fonds qui manque le moins.
Un riche Laboureur, sentant sa mort prochaine,
Fit venir ses enfants, leur parla sans témoins.
Gardez-vous, leur dit-il, de vendre l’héritage
Que nous ont laissé nos parents.
Un trésor est caché dedans.
Je ne sais pas l’endroit ; mais un peu de courage
Vous le fera trouver, vous en viendrez à bout.
Remuez votre champ dès qu’on aura fait l’Août.
Creusez, fouillez, bêchez ; ne laissez nulle place
Où la main ne passe et repasse.
Le père mort, les fils vous retournent le champ
Deçà, delà, partout ; si bien qu’au bout de l’an
Il en rapporta davantage.
D’argent, point de caché. Mais le père fut sage
De leur montrer avant sa mort
Que le travail est un trésor.
— Jean de La Fontaine, Fables de La Fontaine, Le Laboureur et ses enfants.