Cet homme, en bras de chemise, au pied de la croix, c'est mon père. C'est l'été, les vacances. Lui qui est jardinier au cimetière anglais, employé de la Commonwealth War Graves Commission, a voulu venir jusqu'au cimetière allemand de Bourdon, au nord-ouest d'Amiens. Aussi loin que je remonte dans mes souvenirs d'enfant, je l'ai toujours entendu dire, sans connaître Michel Manouchian ou Louis Aragon : "Je n'ai pas de haine pour le peuple allemand". Déporté du travail pendant deux années à Dortmund, d'abord dans une usine puis dans une ferme, il n'a jamais voulu nous raconter ces années-là. Invariablement, il se bornait à nous dire à nous les trois enfants : "J'ai été arrêté par des gendarmes Français" et "j'ai été libéré par des soldats américains". Prisonnier et déporté STO. Service du Travail Obligatoire. Déporté du Travail.
© Jean-Louis Crimon