Amiens. Le Courrier Picard. 15 Nov. 1979. Page 10. © Jean-Louis Crimon
Un samedi soir de la mi-novembre. Une belle idée de reportage. Un sujet pour toi, a plaisanté le chef de la locale. Une soirée poésie au Centre Socio-Culturel Guynemer. Vu du centre ville, sans doute. Ok, on y file. Problème : la poésie, on le sait bien, ça ne déplace pas les foules, mais cette fois, c'est un vrai bide : le grand théâtre est vide. Douze poètes au programme et pas une spectatrice, pas un spectateur. Pauvres organisateurs. J'en ai mal au coeur.
Sur ce genre de plan, la plupart du temps, le journaliste et son photographe compatissent un tant soit peu avec les organisateurs de la soirée ratée, partagent une bière ou deux de déception, puis s'en vont, s'éclipsent. Reportage annulé. Pas d'évènement. pas de papier à écrire. Cette fois, je me dis qu'il faut rester. Essayer de trouver un angle. Faire exister dans le journal ce qui n'a pas existé sur scène.
De retour à la rédac, je raconte ma mésaventure au dessinateur du Bureau Pub du journal, PMHP, Picardie Matin Havas Publicité. Un jeune gars qui écrit, compose et chante aussi. Il a du mal à me croire. Me promet un dessin. J'essaie de mettre en ordre mes notes et de trouver une idée directrice. En fait, je ne suis pas très satisfait – plutôt rare chez moi, de mon papier. Mais, je dois "fournir" les lignes attendues. L'emplacement de l'article est prévu, réservé. Faut assumer. Je pense à Ferré et son célèbre "Poète, prends ton vers et fous-lui une trempe !" Belle vacherie d'après fâcherie avec Breton qui, après avoir accepté, refusa de préfacer "Poète... vos papiers !". Surréaliste !
"La poétique libérée c'est du bidon
Poète prends ton vers et fous-lui une trempe
Mets-lui les fers aux pieds et la rime au balcon
Et ta muse sera sapée comme une vamp' ! "
A côté de Léo, pas très à l'aise, ma prose rime avec fadaise. Cette fois, quoi qu'on en dise, c'est le dessin qui sauve la mise.
© Jean-Louis Crimon