"J'ai voté pour les arbres, les hommes m'ont trop déçu." Il a dit ça comme ça, le plus naturellement du monde, sans avoir besoin d'élever la voix. Il a dit ça doucement, presque sur le ton de la confidence. Pour lui, sans doute, c'était comme une évidence. Son métier de jardinier était peut-être entré dans la balance. A l'heure du choix, seul dans l'isoloir. Je n'ai pas osé lui poser la question.
Le premier tour ce cette élection que tout le monde annonçait comme historique, je l'avais couvert à la ville. J'avais proposé au rédacteur en chef de couvrir le second tour dans un village. Ma proposition de titre l'avait convaincu : Un tour à la campagne. Le village choisi, c'était mon village. L'occasion de voir mes parents et de déjeuner avec eux le midi.
"J'ai voté pour les arbres, les hommes m'ont trop déçu." La phrase, je dois dire aujourd'hui qui l'a prononcée ce jour-là du second tour de l'élection présidentielle de 1981. Ce dimanche 26 avril 1981. C'est la phrase d'un taiseux, de quelqu'un qui parlait davantage avec les yeux. Ma mère était plus volubile. Cette phrase, oui, c'est la phrase de mon père. Je me demande quelle tête il a pu faire, la lisant dans le journal, le lendemain matin. Il a dû sourire. En silence, forcément.
Il n'a rien dit à ma mère. Il ne m'en a jamais rien dit. C'était comme ça avec mon père, on se parlait davantage avec les mots qu'on ne prononçait pas.
© Jean-Louis Crimon