Amiens. C'est vous qui faites le Quotidien. Fin 1980. © Miguel Benadès /Mathias Duhamel. "Pourquoi pas ! " Journal du PSU. Janvier/Février 1981. © Jean-Louis Crimon
Se retrouver en "Quatre par trois", sur tous les panneaux d'affichage du département, franchement, ce n'était pas mon ambition première. Comme souvent, la chose est arrivée par hasard. PMHP, Picardie Matin Havas Publicité, la structure qui gérait la publicité du journal, trouvait que le Grand Quotidien Régional issu de la Résistance s'était quelque peu endormi, vivant et même vivotant sur sa situation de quasi monopole dans sa zone de diffusion. Ce n'était pas faux. Donner un visage, un nouveau visage, à ce journal qui passait pour être "un journal de vieux", fut le point de départ de la réflexion du patron de la pub. Pour donner un visage, il fallait montrer les visages de ceux qui écrivaient dans le journal, donner à voir les visages des rédacteurs. Montrer ainsi que Ch'Courrier, comme on l'appelait affectueusement, n'était pas un "canard de vieux", puisqu'en majorité fait par des journalistes plutôt jeunes.
Proposition fut donc faite aux journalistes de construire avec eux une campagne publicitaire jamais envisagée. Tous les journalistes du siège refusèrent, unanimes, l'invitation à "collaborer avec la pub". Collaborer, un comble pour un journal issu de la Résistance ! Je fus contacté dans les derniers. Sans hésitation, j'acceptai. A une condition, je voulais être l'auteur du slogan. Attitude forcément critiquée par mes collègues au nom de la sacro sainte séparation entre publicité et information. Je tentais d'expliquer que c'était aussi défendre l'info que de se prêter un tant soit peu à la pub. Que je ne me transformerai pas en marchand de savonnettes ou de pâtes Lustucru. Se "prêter" à la pub étant le bon terme, puisque, de fait, la stricte vérité : je ne serai pas rétribué pour ce travail.
Un journal qui parait tous les jours se désigne par le mot "Quotidien". La vie de tous les jours, en ces années 70/80, on la désignait aussi par ce mot, mais avec une minuscule. La vie des gens, notre vie, c'était le quotidien, notre quotidien. Un journal qui prétend rendre compte de la vie des gens doit parler de leur quotidien. Le Quotidien doit rendre compte du quotidien. Ma réflexion avait la simplicité de l'évidence. Mon slogan n'en serait que plus évident : C'est vous qui faites le quotidien. Le patron de la pub fut enthousiaste. C'était exactement ce qu'il recherchait.
Les lecteurs, touchés plein coeur, téléphonèrent dès la sortie de l'affiche. "Puisque c'est nous qu'on fait le quotidien, venez donc faire un reportage chez nous... " Gratuite, ma démarche devenait "payante". Je glanais dans l'affaire un paquet de supporters et d'informateurs. J'ouvrais mon agenda à des sujets de reportages inattendus et souvent très pertinents.
La section locale du PSU ne manqua pas de m'égratigner à la Une de son bimensuel, avec un contre-slogan dialogué assez drôle. Un chameau et son chamelier pour base de départ. "Le quotidien, c'est vous qui le faites", dit le chameau, le chamelier qui le fouette lui répond: "Avance, bourrique, au lieu de répéter bêtement tout ce qu'il y a dans Le Courrier". Le chien, témoin de la scène, conclue: "Autrefois les chameaux se contentaient de blatérer, maintenant ils déblatèrent... "
Le chameau, c'est toujours l'autre. Le PSU, pourtant, j'y avais eu de bons copains au temps où le Parti Socialiste Unifié faisait sa fête annuelle à La Courneuve.
Ma série "Est-ce ainsi que les hommes vivent ?" sur la vie dans les quartiers déshérités de la ville, souvent dans des baraquements construits juste après guerre, fut ma meilleure réponse.
Marc Kravetz, qui, par hasard, lira ma série de reportages, dira du Courrier Picard : "C'est le Libé des campagnes". Mon plus beau titre de gloire.
© Jean-Louis Crimon