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4 octobre 2021 1 04 /10 /octobre /2021 08:57
Amiens. Courrier Picard. 4/5 août 1979. © Jean-Louis Crimon

Amiens. Courrier Picard. 4/5 août 1979. © Jean-Louis Crimon

Ces deux mois de l'été 79 furent déterminants. Pratiquement carte blanche chaque matin. Quand l'agenda n'impose pas le sujet du jour, le chef de la locale, la rédaction des journalistes qui couvrent l'actualité de la ville, s'exclame : "sujet libre !", ajoutant pour que ce soit bien clair : File en ville avec un photographe, et ramène-nous un bon papier !

Ce genre d'invitation, fallait pas me le dire deux fois. L'avantage que j'avais sur mes confrères, plus anciens dans le métier et dans la maison, tenait justement à ma jeunesse dans l'exercice. Tout m'apparaissait comme potentiel sujet de reportage. A la signature de mon contrat, les trois mots du DG du journal, "Sentez-vous libre ! ", m'avaient totalement décomplexé.

Les ramasseurs de cartons d'emballage déposés sur les trottoirs par les commerçants, le journal n'avait sans doute jamais publié la moindre ligne sur eux. J'avais la chance de pouvoir leur consacrer une page entière. Avec, luxe suprême, un peu de social dans la carte postale. Les conditions de leur travail, le prix du kilo de carton, le regard des passants, en faisaient pour moi des êtres à la fois à part et pourtant au coeur de la vraie vie. Mon accroche, sous le titre "Chés Cartonneux, les ramasseurs de cartons, en dialecte picard, plaçait d'emblée l'enjeu du papier. La relire aujourd'hui est un vrai bonheur. De lecteur.

" A les voir passer, chaque jour, soir ou matin, poussant ou traînant, c'est selon, leurs pettites charrettes chargées de cartons, on les croit du paysage. Sans s'étonner ou même se demander ce qui se cache derrière l'image. "

 

Le corps du reportage - le coeur ? - a aussi de beaux moments. " Entre eux, chés ramasseux ed' carton s'amusent assez des courses folles des citadins dits "normaux". Le rythme "toto-boulot-dodo" ne semble guère les tourmenter. Encore moins les attirer. On les croit à contre-courant, mais au fond, ils ont peut-être, malgré eux, des parcours en forme de question. Et pas mal de points d'interrogation au fond des poches. Chaque jour, à notre insu, ils jouent Arrabal ou Beckett dans la rue. Aveugles que nous sommes, nous les cherchons parfois au "Grand théâtre" d'une Maison de béton, sans comprendre que Fando et Lis, ou Godot, sont en permanence dans ce "petit théâtre" des ramasseurs de carton."

 

La chute aussi me semble assez jolie. La fin est bien vue. " Solitudes et détresses mêlées, solidarité du milieu, et dérision du quotidien. Témoin cette façon de dire leur manière de ne pas vivre, un rien lucides ou résignés : les idées, c'est moins lourd que les cartons, mais ça a plus de poids ! "

 

Relire fait du bien. De cette forme de journalisme de la fin des années 70, les années 2020 auraient sans doute grand besoin.

 

© Jean-Louis Crimon

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